Les autres philosophes | Philosophie pour enfants ou adultes: ­ Est-ce qu'une Chimère vrombissant dans le vide

­ Est-ce qu'une Chimère vrombissant dans le vide

peut manger des intentions secondes ?
Enquête logique sur l'impossible, l'inexistence, le sens et la pensée
À maman, Nadine Sourdeix
1955–2018
En fait, Socrate n'a pas cessé de rendre toute discussion impossible.
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu'est-ce que la philosophie ?
Il trouva la bibliothèque de Saint-Victor fort magnifique, mêmement quelques-uns des livres qu'il y trouva desquels s'ensuit le répertoire, et primo : […] Question subtilissime : Si une Chimère vrombrissant dans le vide peut manger des intentions secondes (utrum Chimera in vacuo bombinans possit comedere secundas intentiones) ; laquelle fut débattue pendant dix semaines au concile de Constance.
François Rabelais, Pantagruel
Chimère logique médiévale, dont la queue de dragon végétale figure la division de la supposition des termes. Les trois principales branches de la supposition propre (par distinction d'avec l'impropre : la figurative ou métaphorique) sont la supposition personnelle, la matérielle, et la simple, cette dernière étant parfois incluse sous la matérielle ce qui est peut-être pourquoi elle ne figure pas ici. La supposition personnelle est divisée en discrète et commune, et cette dernière subdivisée en d'autres branches dont la supposition confuse et distributive, elle-même subdivisée en supposition mobile et immobile. En bas à gauche, exemples standards de la supposition personnelle d'êtres pour lesquels le terme «homme» peut supposer : Platon, Socrate. Auteur inconnu, 1980. Source, histoire et légende logique : Paul Vincent Spade's website


Argumentaire par questions et réponses
en cours d'invention

Cette nouvelle proposition de pratique philosophique pour enfants propose de poser quelques questions logiques élémentaires sur les concepts logiques élémentaires, à travers les aventures philosophiques d'un personnage conceptuel de la Logique médiévale, la Chimère : Qu'est-ce qu'un raisonnement ? Qu'est-ce qu'une conséquence logique ? Quelles en sont les règles logiques ? Quels sont les concepts logiques ? Qu'est-ce qu'un concept ?
Cette proposition originale de pratique philosophique pour enfants se situe dans la suite logique du travail entamé avec L'Argument métaphysique : enquête logique sur l'argument sur l'existence de Dieu, qui propose d'étudier et de pratiquer l'argumentation, à travers la découverte et l'analyse logique de quelques-uns des meilleurs arguments philosophiques jamais conçus : Qu'est-ce qu'un argument philosophique ? Comment concevoir un argument ? Et, en particulier, qu'est-ce que l'argument par l'absurde ou par réduction à l'impossible ?

Les « intentions secondes » sont les concepts de second ordre, les concepts logiques, impliqués dans les trois principales opérations logiques que sont la conception, le jugement et l'argumentation et conçus par réflexion sur celles-ci. Quels sont les concepts logiques ? Les concepts de genre, d'espèce, de différence, d'essence et d'accident, de catégorie ou prédicament, de définition, de division, d'analyse, de proposition, de sujet, de prédicat, de prédicable, d'affirmation, de négation, d'opposition, de contradiction, de modalité, d'argument, de raisonnement, de syllogisme, de conséquence, de sophisme, etc.
Quels concepts logiques une Chimère peut-elle manger ? La Chimère peut-elle manger le concept logique de… conséquence ? Le concept logique de vérité ? Le concept logique de… concept ?

Où est la Chimère, le fantastique personnage conceptuel de la longue et mystérieuse histoire de la Logique ? Vrombissant dans le vide entre quelles anciennes questions logiques et métaphysiques ? Quelque part aux confins de la question du sens, de l'être et du néant, du vrai et du faux, quelque part entre la question de l'impossible, la question de la référence vide, la question du triangle sémantique des mots, des concepts, et des choses, la question de la différence entre chose réelle et chose mentale, et la question de la réalité des êtres de raison et des concepts logiques.
Est-ce qu'une Chimère vrombissant dans le vide peut manger des intentions secondes ? est une fantastique question philosophique : absurde et pleine de sens, pince-sans-rire et sérieuse, drôle et inquiétante, impossible et nécessaire, enfantine et adulte, souriante et grimaçante, légère et vertigineuse, ironique, logique et poétique, grotesque et révérencieuse envers la logique et son histoire dont elle est le propre fruit.

La Chimère est un personnage conceptuel de la logique médiévale incarnant l'impossible et le non être. La Chimère est censée posséder l'essence (et non, seulement, des composants matériels) de tous les êtres – lion ou femme, chèvre, serpent ou dragon – qui entrent dans sa «constitution». Sa définition logique est : une entité composée de parties incompatibles. La Chimère est un animal composé d'éléments à partir desquels rien ne peut être composé, écrit Jean Buridan (Sophismata, chap. 1, soph. 6, concl. 11).

La première mention de la Chimère apparaît au livre VI de l'Iliade. Là il est écrit qu'elle était de filiation divine et qu'elle avait le devant d'un lion, le milieu d'une chèvre et l'arrière-train d'un serpent ; elle jetait du feu par la bouche et elle fut tuée par le beau Bellérophon, fils de Glaucos, comme l'avaient présagé les dieux. Tête de lion, ventre de chèvre et queue de serpent, est l'explication la plus naturelle que suggèrent les paroles d'Homère, mais la Théogonie d'Hésiode la décrit avec trois têtes, et elle est figurée ainsi dans le fameux bronze d'Arezzo, qui date du Vᵉ siècle. À la moitié du dos se trouve la tête de chèvre, à une extrémité celle de serpent, à l'autre celle de lion.
Dans le deuxième livre de l'Énéide réapparaît « la Chimère armée de flammes » ; le commentateur Servius Honoratus observa que, selon toutes les autorités, le monstre était originaire de Lycie et qu'en cette région il y avait un volcan qui porte son nom. Le pied en est infesté de serpents, ses versants sont couverts de prairies et de chèvres, son sommet vomit des flammes et des lions y ont leur repaire ; la Chimère serait une métaphore de ce curieux ensemble.
Jorge Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires

Le personnage conceptuel de la Chimère incarne différents problèmes logiques, issus des différents domaines de la logique. La Chimère est peut-être aussi une métaphore du caractère protéiforme et hétérogène de la Logique médiévale : théorie des propriétés des termes (supposition, signification, dénotation, appellation), théorie des transcendantaux (les premiers concepts en lesquels tous les autres se résolvent et les plus universels, transcendant la division logique des dix catégories ou genres suprêmes : l'étant (ens), la chose (res), le quelque chose (aliquid), l'un (unum), le vrai (verum), le bien (bonum)), théorie de la proposition (prédicables ou universaux, carré logique des quatre espèces (subalternation, subcontrariété, contrariété, contradiction) de l'opposition logique des propositions, conversion, équipollence ou équivalence logique des propositions), théorie des modalités (le possible, le contingent, l'impossible, et le nécessaire), disputes sophismatiques (Sophismata), dont font partie le jeu logique des obligations (Obligationes) et les insolubles (Insolubilia), théorie du syllogisme, théorie des lieux de l'argumentation (Topiques, l'art de l'invention des arguments), science des contre-arguments (Instantiae), théorie des conséquences (consequentiae).

Théorie du syllogisme. Rosace médiévale des 19 modes et des 3 figures médiévaux des syllogismes figurant dans un manuscrit latin du XVᵉ siècle des Petites Sommes de logique (c. 1230–45) de Pierre d’Espagne. Les Petites Sommes de logique sont le manuel de base de l'étude de la Logique quatre siècles durant. Source : BnF, mss latin 14716, f.63. Reproduction : Mathieu Sourdeix.


Sommaire
1ᵉ question : Le problème logique de la vérité et de la portée existentielle de la proposition et du concept
1.1ᵉ question : Que signifie « Tous les poètes sont morts » ?
1.2ᵉ question : Que signifie le nom de la rose, quand aucune rose n'est ?

2ᵉ question : Le problème logique du sens, de la référence et de l'intentionnalité
2.1ᵉ question : Qu'est-ce qu'une intention (ma'nā, intentio), un concept, une idée ?
2.2ᵉ question : Avant l'existence : Quelle est la réalité d'une chose avant qu'elle n'existe ?
2.3ᵉ question : Qu'appelle-t-on penser à un objet …inexistant ou impossible ?
La tradition logique autrichienne

3ᵉ question : Quel est le sens et la division logique des transcendantaux ?
L'étant (ens, mawjûd), la chose (res, shay’), le quelque chose (aliquid) et le néant (nihil, ma‘dûm)

4ᵉ question : Purpurea, Iliace, Amabimus, Edentuli
Le problème logique de l'équivalence des propositions modales
4.1ᵉ question : Le possible s'ensuit-il du nécessaire ?
Dans le labyrinthe du nécessaire, de l'impossible, du possible et du contingent
4.2ᵉ question : Le possible et le contingent sont-ils logiquement équivalents ?

5ᵉ question : Ex falso/impossibili sequitur quodlibet
Le problème logique de la conséquence logique



1ᵉ question : Le problème logique de la vérité et de la portée existentielle de la proposition et du concept
Le nom de la rose, le concept de la rose, et la rose qui n'est pas

Le personnage conceptuel de la Chimère incarne plusieurs problèmes logiques. Le problème logique de la vérité : Comment une proposition se référant à une chose qui n'existe pas peut-elle être vraie ? Qu'est-ce que la vérité ? Qu'est-ce qui fait qu'une proposition est vraie ? La vérité d'une proposition nécessite-t-elle l'existence des choses auxquelles elle se réfère ? La vérité d'une proposition implique-t-elle l'existence de son sujet ? Une proposition portant sur ce qui n'est pas peut-elle être vraie ?

Pourtant, la proposition « La Chimère est concevable », « Une Chimère est une Chimère », « La Chimère n'est pas un homme », « César est un homme », César étant mort, ou bien encore « Tout homme est un animal », nul homme n'existant, n'est-elle pas vraie ?

Si non, comment l'analyse logique de la proposition peut-elle bien démontrer sa fausseté ? Mais si oui, si la proposition est vraie, qu'est-ce que la vérité ? Comment définir la vérité, autrement que comme l'accord avec la réalité ? Qu'est-ce qui avère une vérité logique ? L'existence de la chose à laquelle la proposition se réfère ou l'essence des choses indifférente à leur existence, la relation logique de conséquence entre le prédicat et le sujet d'une proposition ?


1.1ᵉ question : Que signifie « Tous les poètes sont morts » ?
Portée existentielle d'une proposition, vérité, principe de non contradiction
et sens de l'être et du non être

Que signifie la proposition « Tout poète est bon » ?

Première hypothèse : « Tout poète est bon » signifie « Tout poète qui existe est bon ».

Premier problème : Supposons que « Tous les poètes sont morts ». Alors il s'ensuit logiquement que les deux propositions contradictoires « Tout poète est bon » (A) et « Aucun poète n'est bon » (N) sont, semble-t-il, toutes deux vraies :

N) Si « Tous les poètes sont morts », il s'ensuit logiquement « Aucun poète n'est bon ».
Pourquoi ? Parce que « Ce qui n'est pas ne peut être bon » ou « Le néant n'a pas de propriétés ».

A) Si « Tous les poètes sont morts », il s'ensuit logiquement « Tout poète est bon ».
Pourquoi ? Parce que « La mort du poète n'annihile pas sa bonté ».

Ou bien parce que (merci à Truth of Signs pour ce raisonnement) :
1. Les poètes morts ne sont pas.
2. Si « Tous les poètes sont morts », il s'ensuit que « Aucun poète existant est non bon ».
Pourquoi ? La conséquence s'ensuit parce que la contradictoire du conséquent (« Quelque poète existant n'est pas non bon ») contredit l'antécédent (« Tous les poètes sont morts »).
3. Si « Aucun poète existant est non bon », il s'ensuit « Tout poète existant est bon », QED.

Mais d'après le principe logique de non contradiction, il est impossible que deux propositions contradictoires (« Tout poète est bon » (A) et « Aucun poète n'est bon » (N)) soient toutes deux vraies en même temps.

Second problème : Que signifie « Tous les poètes sont morts » ? Est-ce que « sont morts » signifie « ne sont pas » ou, au contraire, « sont (morts), donc existent encore » ? Ou bien encore… est-ce que « sont morts » signifie les deux, sont et ne sont pas ?

à suivre


1.2ᵉ question : Que signifie le nom de la rose,
quand aucune rose n'est ?

Le nom de la rose, le concept de la rose, et la rose qui n'est pas

Il fait froid dans le scriptorium, j'ai mal au pouce. Je laisse cet écrit, je ne sais pour qui, je ne sais plus à propos de quoi : stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus. (La rose d'antan subsiste par son nom, nous tenons des noms nus.)

Umberto Eco, Le nom de la rose
Allusion, notamment, à l'ultime vers de l'immense poème De contemptu mundi (ca. 1144) de Bernard de Morlaix (ca. 1100–1140), moine bénédictin à Cluny sous Pierre de Montbossier alias Pierre le Vénérable (1122–1156) : À présent où est Regulus et où est Romulus et où est Remus ? / La Rome d'antan subsiste par son nom, nous tenons des noms nus (Nunc ubi Regulus aut ubi Romulus aut ubi Remus ? / Stat Roma pristina nomine, nomina nuda tenemus), et à l'énoncé « Aucune rose n'est » dans la somme de Logique introductive de Pierre Abélard. «Je rappelle aussi qu'Abélard utilisait l'exemple de l'énoncé « nulla rosa est » pour montrer à quel point le langage pouvait tout autant parler des choses abolies que des choses inexistantes», dit Umberto Eco dans l'Apostille au Nom de la rose.

La quatrième question d'Abélard ajoutée aux trois questions du questionnaire de Porphyre
Au §18 du premier livre, Gloses sur Porphyre, de sa somme de Logique introductive (Logica Ingredientibus, ca. 1118–20), Pierre Abélard (1079–1142) ajoute une quatrième question à l'antique et médiéval questionnaire présent dans le premier texte d'introduction médiévale à la Logique, l'Isagogè (Εἰσαγωγή, « Introduction », 268–270) de Porphyre (ca. 233–310) :

§ 18 [0.4.2. Énumération des questions que soulève la deuxième phrase de Porphyre à propos des universaux] Or elles sont trois, comme Boèce dit, mystérieuses et très utiles et non pas mises à l’épreuve par peu de philosophes, mais résolues par peu. Or la première est de cette sorte : les genres et les espèces subsistent-ils ou sont-ils posés dans les seules etc. ?, comme s’il disait : ont-ils un vrai être ou consistent-ils seulement dans l’opinion ? Tandis que la seconde est, s’ils sont concédés être avec véracité : sont-ils des essences corporelles ou incorporelles ? Tandis que la troisième est : sont-ils séparés des sensibles ou posés en eux ? […]

Relativement à ces mêmes genres et espèces d’autres questions aussi peuvent être faites qui sont tout aussi difficiles, comme l’est celle relative à la cause commune de l’imposition des noms universels — cette question est en l’occurrence : selon quoi les diverses choses s’accordent-elles ? —, ou aussi la question relative à l’intellection des noms universels, puisque aucune chose ne semble être conçue par de tels noms, et que ces mots ne semblent porter sur aucune chose, et de nombreuses autres questions difficiles.
Nous pouvons ainsi analyser « et se maintenant autour de ces choses, c’est-à-dire des sensibles », de sorte que nous ajoutions une quatrième question : les genres et les espèces ont-ils nécessairement, aussi longtemps qu’ils sont genres et espèces, une chose subordonnée à eux par nomination ? Ou, si l'on préfère, si les choses nommées sont anéanties, l’universel peut-il consister seulement dans la signification du concept (littéralement, de l’intellection), comme ce nom, ‘rose’, quand il n’est pas de roses auxquelles il soit commun ? (ut hoc nonem, 'rosa', quando nulla est rosarum quibus commune sit)

La rose qui n'est pas
Pierre Abélard, Henri de Gand, Gilles de Rome, Francisco Suárez

à suivre

Dossier de lectures philosophiques
Pierre Abélard, somme de Logique introductive (Logica Ingredientibus, édition et traduction française du début de la Logique introductive), ca. 1118–20, somme de Logique des Nôtres (Logica Nostrorum petitioni sociorum), ca. 1125, et somme de Dialectique, ca. 1115–17, 1121–23 et 1135–37, éditée par Lambert Marie de Rijk en 1970
Lambertus Marie de Rijk, Logica Modernorum. A Contribution to the History of Early Terminist Logic, Vol. I: On the Twelfth century Theories of Fallacy ; Vol. II/1: The origin and early development of the Theory of Supposition ; Vol. II/2: The origin and early development of the Theory of Supposition: Texts and Indices
Maria Teresa Beonio-Brocchieri Fumagalli, The Logic of Abelard
Bruno Michel, Abélard lecteur de Boèce
Klaus Jacobi, Peter Abelard's Investigations into the Meaning and Functions of the Speech Sign 'Est'
Peter King, Peter Abelard, SEP
Jean Jolivet, Arts du langage et théologie chez Abélard
Id., Abélard ou la philosophie dans le langage
Id., À propos d'une critique abélardienne du réalisme
Christian Wenin, La signification des universaux chez Abélard
Margaret Cameron, The Logic of Dead Humans: Abelard and the transformation of the Porphyrian Tree
Christopher John Martin, Imposition and Essence: What's new in Abaelard's Theory of Meaning?
Id., Denying conditionals: Abaelard and the failure of Boethius' account of the hypothetical syllogism
Id., Theories of Inference and Entailment in the Middle Ages
Irene Binini, Possibility and Necessity in the Philosophy of Peter Abelard
Id., My current research on 12th century logic
Gilles de Rome, Neuvième question sur l'être et l'essence, dans Henri de Gand, Gilles de Rome, Godefroid de Fontaines, Être, essence et contingence
Thomas d'Aquin, Première question disputée sur la vérité
Francisco Suárez, Disputes métaphysiques, Dispute XXXI : L'essence de l'étant fini en tant que tel, son être, et leur distinction réciproque. Section II : Qu'en est-il de l'essence des créatures avant qu'elles soient produites par Dieu ?, Objections à l'encontre de la résolution du problème et Réponses aux objections
Id., Disputes métaphysiques, Dispute XXXI : L'essence de l'étant fini en tant que tel, son être, et leur distinction réciproque. Section XII : Est-ce que l'essence créée est séparable de son existence ?, Traitement de l'objection concernant les propositions de vérité éternelle, §38–47
Umberto Eco, Le nom de la rose



2ᵉ question : Le problème logique du sens, de la référence et de l'intentionnalité

Le second problème logique porte sur la signification ou le sens : Qu'est-ce que la signification ? Le mot signifie-t-il le concept ou la chose ? Si le mot signifie la chose, signifie-t-il la chose existante ou l'essence de la chose, essence indifférente à l'existence et à l'inexistence ?

Le concept


Le motLa chose

Analyse du triangle sémantique à venir.


2.1ᵉ question : Qu'est-ce qu'une intention (ma'nā, intentio), un concept, une idée ?

L'analyse de l'intention ou concept en intentions premières et intentions secondes

Que signifie la distinction entre intentions premières et intentions secondes ? D'où provient-elle ?


L'analyse logique de l'idée : la distinction entre réalité formelle et réalité objective de l'idée
…Dans ce mot d'idée il y a ici de l'équivoque : car, ou il peut être pris matériellement pour une opération de mon entendement […] ; ou il peut être pris objectivement pour la chose qui est représentée par cette opération
René Descartes, Préface de l'auteur au lecteur des Méditations métaphysiques

Par la réalité objective d'une idée, j'entends l'entité ou l'être de la chose représentée par l'idée, en tant que cette entité est dans l'idée ; et de la même façon, on peut dire une perfection objective, ou un artifice objectif, etc.
René Descartes, Abrégé géométrique des Réponses aux IIᵉ Objections

Entre mes pensées, quelques-unes sont comme les images des choses, et c'est à celles-là seules que convient proprement le nom d'idée : comme lorsque je me représente un homme, ou une Chimère, ou le Ciel, ou un Ange, ou Dieu même.
René Descartes, IIIᵉ des Méditations métaphysiques, AT, IX, 29

L'analyse de l'idée distingue en elle sa double réalité, la réalité formelle de l'idée et la réalité objective de l'idée :
1ᵉ : être pensée, activement, au sens strict pensée par l'entendement ;
2ᵉ : être idée d'un objet.

Concept ou idée


Réalité formelle de l'idéeRéalité objective de l'idée


…Puis, […] il est venu au nœud de la difficulté, qui est de savoir ce qu'il faut ici entendre par le nom d'idée, et quelle cause cette idée requiert.
Or j'ai écrit en quelque part, que l'idée est la chose même conçue, ou pensée, en tant qu'elle est objectivement dans l'entendement, lesquelles paroles il feint d'entendre tout autrement que je ne les ai dites, afin de me donner occasion de les expliquer plus clairement. Être, dit-il, objectivement dans l'entendement, c'est terminer à la façon d'un objet l'acte de l'entendement, ce qui n'est qu'une dénomination extérieure, et qui n'ajoute rien de réel à la chose, etc. Où il faut remarquer qu'il a égard à la chose même, comme étant hors de l'entendement, au respect de laquelle c'est de vrai une dénomination extérieure, qu'elle soit objectivement dans l'entendement ;
René Descartes, Réponses aux premières objections de Caterus, AT, IX, 82

à suivre


2.2ᵉ question : Avant l'existence : Quelle est la réalité d'une chose avant qu'elle n'existe ?
…et je me suis servi de ce mot [idée], parce qu’il était déjà communément reçu par les philosophes pour signifier les formes des conceptions de l’entendement divin
René Descartes, Réponses aux IIIᵉ Objections aux Méditations métaphysiques

Quels sont les antécédents et les sources historiques de la distinction entre réalité formelle et réalité objective de l'idée ? Quelle est l'histoire philosophique médiévale de cette distinction ?

Dossier de lectures philosophiques
Fedor Benevich, The reality of the non-existent object of thought: the possible, the impossible, and mental existence in islamic philosophy (11-13th)
Dominik Perler, What am I thinking about? John Duns Scotus and Peter Aureol on intentional objects
Id., Things in the mind. Fourteenth-Century controversies over "intelligible species"
Id., What are intentional objects? A controversy among early scotists
Id., Théories de l’intentionnalité au Moyen Âge
Katherine Tachau, Peter Aureol on Intentions and the Intuitive Cognition of Non-Existents
Id., Some Aspects of the Notion of Intentional Existence at Paris, 1250-1320
David Piché, L'intuition du non-existant selon Gérard de Bologne et Hervé de Nédellec
Fabrizio Amerini et Christian Rode, Franciscus de Prato’s Tractatus de ente rationis
Alessandro D. Conti, Second Intentions in the Late Middle Ages
Gyula Klima, The changing role of entia rationis in mediaeval semantics and ontology: A comparative study with a reconstruction
Daniel D. Novotný, Ens rationis from Suarez to Caramuel: A Study in Scholasticism of the Baroque Era
Roger Ariew, Descartes among the Scholastics
Roland Dalbiez, Les sources scolastiques de la théorie cartésienne de l'être objectif
Jean-François Courtine, La doctrine cartésienne de l'idée et ses sources scolastiques
Marco Forlivesi, La distinction entre concept formel et concept objectif : Suárez, Pasqualigo, Mastri
Francesco Marrone, Descartes e la tradizione scotista. Gli antecedenti storici della nozione di realitas obiectiva, dans Quaestio #8
Id., Ontologia dei contenuti ideali. Essere oggettivo e realtà nel dibattito Descartes-Caterus, dans Quaestio #12
Id., L’univocité de l’étant et l’origine de la distinction entre realitas subiectiva et realitas obiectiva, dans La réception de Duns Scot
Id., Étienne Gilson et Roland Dalbiez. Sur la genèse de la notion cartésienne de réalité objective
Id., Ens reale / Ens Rationis. Le mental et le réel dans le formalisme scotiste du XVIᵉ siècle, dans Quaestio #17
Id., Realitas obiectiva. Elaborazione e genesi di un concetto
Id. (ed), Quaestio #18 : The Question of the Thing/La questione della cosa
Larry Hickman, Modern Theories of Higher Level Predicates: Second Intentions in the Neuzeit
Sylvain Auroux, La logique des idées



2.3ᵉ question : Qu'appelle-t-on penser à un objet …inexistant ou impossible ?
La tradition logique autrichienne
Le quatrième sens d'intentio qui, de prime abord, évoque ce que Brentano appelle die Richtung auf ein Objekt (l'orientation vers un objet) est, en réalité, le plus énigmatique. D'une certaine manière il se confond avec le troisième sens de l'intentio [l’intentio au sens de concept].
Alain de Libera, «Intention», Vocabulaire européen des philosophies

La question de la nature de la pensée et de l'objet intentionnel se pose à nouveau dans l'École de Franz Brentano, de ses élèves et de ses héritiers, dans la question de la « référence vide », des « représentations sans objet » ou des « objets inexistants » et des « objets impossibles » :


Carte de l'École de Brentano
En mémoire de mon maître de l'École phénoménologique, Edmund Husserl


Un complexe de questions et de réponses :
Toute pensée a-t-elle un objet ou bien une pensée peut-elle être sans objet ?
À quoi une pensée qui pense à quelque chose qui n'existe pas se réfère-t-elle ? Quelle est la référence objective d'une pensée portant sur quelque chose d'inexistant ou d'impossible ?
Y a-t-il des choses qui n'existent pas ?
Y a-t-il des objets inexistants ?
Comment un objet peut-il ne pas exister ?
Comment un objet peut-il être impossible ?
Un objet imaginaire est-il quelque chose ou rien ?
Un objet impossible est-il quelque chose ou rien ? L'impossible (par exemple, la Chimère) se laisse-t-il réduire à néant ?
Que signifie « rien » ?
L'impossible a-t-il un sens (un signifié, une référence) ou ne signifie-t-il rien ?
Qu'est-ce qu'une chose (šay', res) ?
Qu'est-ce qu'un objet ?


Gottlob Frege : signe – sens (Sinn) – objet de la signification ou dénotation (Bedeutung)
Franz Brentano :
Kazimierz Twardowski : acte – contenu – objet
Alexius Meinong :
Bertrand Russell : proposition – signification (meaning) – dénotation (denotation)
Edmund Husserl : expression – sens – référence

Les textes du dialogue philosophique d'Alexius Meinong et de Bertrand Russell sont :
Bertrand Russell, Meinong's Theory of Complexes and Assumptions (1904), Review of: Meinong, Untersuchungen zur Gegenstandstheorie und Psychologie (1906 et 1907), De la dénotation (1905), articles publiés dans Essays in Analysis
Alexius Meinong, Über die Stellung der Gegenstandstheorie im System der Wissenschaften (1907), Über Annahmen (seconde édition de 1910), et le second chapitre de Über Emotionale Präsentation (1917).

De nombreux psychologues analytiques – Meinong par exemple – distinguent trois éléments dans une présentation, à savoir l'acte (ou le sujet), le contenu et l'objet. Les réalistes comme le D. Moore et moi-même ont rejeté le contenu, mais retenu l'acte et l'objet.
Bertrand Russell, On propositions: what they are and how they mean, 1919, p. 305

à suivre

Dossier de lectures philosophiques
Johannes Clauberg, Ontosophia
Massimiliano Savini, Johannes Clauberg : Methodus cartesiana et ontologie
Franz Brentano, Psychologie du point de vue empirique
Id., Psychologie descriptive
Alexius Meinong, Théorie de l'objet
Edmund Husserl et Kasimir Twardowski, Sur les objets intentionnels, 1893–1901
Jocelyn Benoist, Phénoménologie, sémantique, ontologie : Husserl et la tradition logique autrichienne
Id., Représentations sans objet : Aux origines de la phénoménologie et de la philosophie analytique
Id., Intentionalité et langage dans les Recherches logiques de Husserl
Jean-Michel Roy, Rhin et Danube : Essais sur le schisme analytico-phénoménologique
Janet Farrell Smith, The Russell-Meinong Debate
Peter Simons, On What There Isn’t: The Meinong-Russell Dispute, dans Philosophy and Logic in Central Europe from Bolzano to Tarski
Id., L'intentionalité, la décennie décisive, dans Daniel Laurier et François Lepage (ed.), Essais sur le langage et l'intentionalité
Id., To Be and/or Not to Be
Jean-Pierre Cometti et Kevin Mulligan (ed.), La philosophie autrichienne de Bolzano à Musil : Histoire et actualité
Liliana Albertazzi, Massimo Libardi, Roberto Poli (ed.), The School of Franz Brentano
Denis Fisette et Guillaume Fréchette, À l'École de Brentano : De Würzburg à Vienne
Id. et Hynek Janoušek (ed.), Franz Brentano’s Philosophy After One Hundred Years: From History of Philosophy to Reism
Hamid Taieb, Relational Intentionality: Brentano and the Aristotelian Tradition
Robin D. Rollinger, Husserl's Position in the School of Brentano
Richard Routley, Exploring Meinong's Jungle and Beyond
Graham Priest, Towards Non-Being. The Logic and Metaphysics of Intentionality
Francesco Berto, Existence as a Real Property: The Ontology of Meinongianism
Dale Jacquette, Alexius Meinong, The Shepherd of Non-Being
Manuel García-Carpintero and Genoveva Martí (ed.), Empty Representations: Reference & Non-Existence
Maria Reicher, Nonexistent Objects, SEP



3ᵉ question : Quel est le sens et la division logique des transcendantaux ?
L'étant (ens, mawjûd), la chose (res, shay’), le quelque chose (aliquid) et le néant (nihil, ma‘dûm)

Y a-t-il un concept de l'être commun à l'être réel et à l'être de raison ?
L'«être réel» et l'«être de raison», ou Métaphysique et Logique

Que signifie la question Est-ce qu'une Chimère vrombissant dans le vide peut manger des intentions secondes ? La question signifie : Est-ce que le concept d'être de raison (la Chimère en tant qu'ens rationis par excellence), entendu au sens contradictoire de l'être réel (ens reale) peut absorber le concept de concept logique (intentio secunda) ?

à suivre

Dossier de lectures philosophiques
Fedor Benevich, The Essence-Existence Distinction: Four Elements of the Post-Avicennian Metaphysical Dispute (11–13th Centuries)
Ben Novak, Anselm on Nothing
Luisa Valente, «Illa quae transcendunt generalissima»: elementi per una storia latina dei termini trascendentali (XII secolo)
Id., Names That Can Be Said of Everything: Porphyrian Tradition and ‘Transcendental’ Terms in 12th-c. Logic
Id., Logique et théologie : Les écoles parisiennes entre 1150 et 1220
Klaus Jacobi, Nomina transcendentia. Untersuchungen, von Logikern des 12. Jahrhunderts über transkategoriale Terme
Giorgio Pini, The Transcendentals of Logic: 13th c. Discussions on the Subject Matter of Aristotle’s "Categories"
Thomas d'Aquin, Dietrich de Freiberg, L'être et l'essence. Le vocabulaire médiéval de l'ontologie
Thomas d'Aquin, Première question disputée sur la vérité
Henri de Gand, Gilles de Rome, Godefroid de Fontaines, Être, essence et contingence
Gilles de Rome, Théorèmes sur l'être et l'essence
Jean Paulus, Les disputes d'Henri de Gand et de Gilles de Rome sur la distinction de l'essence et de l'existence
John F. Wippel, The Metaphysical Thought of Godfrey of Fontaines: A Study in Late 13th c. Philosophy
Ana Rieger Schmidt, La primauté de l’étant et les premiers principes chez Gérard Odon
Jean Duns Scot, Questions sur la métaphysique
Odile Gilon, Indifférence de l'essence et métaphysique chez Jean Duns Scot
Jean-Christophe Bardout, Penser l’existence : L’existence exposée. Époque médiévale
Jan A. Aertsen, Medieval Philosophy as Transcendental Thought: From Philip the Chancellor (ca. 1225) to Francisco Suárez
Id. et Wouter Goris, Medieval Theories of Transcendentals, SEP
Olivier Boulnois, Métaphysiques rebelles : Genèse et structure d’une science au Moyen Âge
Id., Être et représentation : Une généalogie de la métaphysique moderne à l'époque de Duns Scot (XIIIᵉ-XIVᵉ siècles)
Francisco Suárez, Disputes Métaphysiques
Graziella Federici Vescovini (éd.), Le problème des transcendantaux du XIVᵉ au XVIIᵉ siècle
Francesco Marrone, Ens reale / Ens rationis : Le mental et le réel dans le formalisme scotiste du XVIᵉ siècle
Isabelle Mandrella, La controverse sur l’univocation de l’étant et le surtranscendantal : la métaphysique de Nicolas Bonet
Id., Le sujet de la métaphysique et sa relation au conceptus entis transcendentissimi aux 16ᵉ et 17ᵉ siècles
John P. Doyle, On the Borders of Being and Knowing: Late Scholastic Theory of Supertranscendental Being
Johannes Clauberg, Ontosophia
Massimiliano Savini, Johannes Clauberg : Methodus cartesiana et ontologie
Ernesto Mayz Vallenilla, Le problème du néant chez Kant



4ᵉ question : Purpurea, Iliace, Amabimus, Edentuli
Le problème logique de l'équivalence des propositions modales

Une proposition modale se compose d'un mode (le possible, le contingent, l'impossible, le nécessaire, le vrai, le faux) et d'un dictum (affirmatif ou négatif), par exemple Il est possible que Socrate argumente ou Il est impossible que Socrate soit une pierre. La composition des deux composants donne (4 × 4) seize propositions modales, qui se divisent en quatre espèces quadripartites, symbolisées dans la logique médiévale par les voyelles a, e, i, u :
a : affirmation du mode et affirmation du dictum.
e : affirmation du mode et négation du dictum.
i : négation du mode et affirmation du dictum.
u : négation du mode et négation du dictum.

Les quatre espèces de propositions modales sont signifiées dans les mots Purpurea, Iliace, Amabimus et Edentuli, dont chaque syllabe correspond à une proposition modale :

Pur-  Il n'est pas possible de ne pas être                 I-  Il n'est pas possible d'être
   pu-  Il n'est pas contingent de ne pas être                li-  Il n'est pas contingent d'être
 re-  Il est impossible de ne pas être                      a-  Il est impossible d'être     
    a  Il est nécessaire d'être             contraires         ce  Il est nécessaire de ne pas être
c                                       c
o                                  o
s        n                            n        s
u          t                       t           u
b             r                  r             b
a               a             a                a
l                  d       d                   l
t                     i i                      t
e                    c   c                     e
r                  t       t                   r
n                o            o                n
e             i                 i              e
s          r                       r           s
e                            e 
s                                  s  
 A-  Il est possible d'être           subcontraires       E-  Il est possible de ne pas être
     ma-  Il est contingent d'être                            den-  Il est contingent de ne pas être
          bi-  Il n'est pas impossible d'être                      tu-  Il n'est pas impossible de ne pas être
 mus  Il n'est pas nécessaire de ne pas être              li  Il n'est pas nécessaire d'être

Carré logique des quatre espèces (subalternation, subcontrariété, contrariété, contradiction) de l'opposition logique
et de l'équipollence ou équivalence logique des quatre espèces (nécessaire, impossible, possible, contingent) des propositions modales, XIIᵉ siècle.



4.1ᵉ question : Le possible s'ensuit-il du nécessaire ?
Dans le labyrinthe du nécessaire, de l'impossible, du possible et du contingent

Dans le premier traité du corpus logique d'Aristote, le traité De l'interprétation, se trouve une contradiction, entre ces deux propositions :

P1 : Le nécessaire est possible.
P2 : Le possible exclut le nécessaire.

Cette contradiction est encore mise en lumière en 1580 dans les Tables de logique de Giacomo Zabarella (1533–1589), dans lesquelles le philosophe de Padoue écrit :
En outre de celle-ci il est nécessaire d'être, on peut inférer donc il est possible d'être : mais de celle-ci selon les Anciens s'ensuit celle-là il n'est pas nécessaire d'être : donc du premier au dernier s'ensuit s'il est nécessaire d'être, il n'est pas nécessaire d'être, et ainsi une contradictoire s'ensuivrait de sa contradictoire, ce qui est absurde.
On doute si est vrai ce qui a été pris pour argumenter contre les Anciens, à savoir que de celle-ci, il est nécessaire d'être, s'ensuit celle-là, il est possible d'être. En effet il y a une raison en faveur de chaque partie ; d'abord certes il semble que cela est correctement inférer ; car si cela ne s'ensuivait pas, il s'ensuivrait donc sa contradictoire, qui est il n'est pas possible d'être, mais c'est manifestement absurde, que cela, qu'il est nécessaire d'être, ne soit pas possible, donc si celle-ci ne s'ensuit pas, l'autre s'ensuit, et ainsi la conséquence est bonne, il est nécessaire d'être, donc il est possible d'être ;
Mais d'un autre côté elle ne semble pas correcte, car on dit possible ce qui peut être et ne pas être : donc si nous disons correctement il est nécessaire d'être, donc il est possible d'être, il s'ensuit que le nécessaire peut être et ne pas être, ce qui est absurde ;

Il est nécessaire d'être, donc Il est possible d'être.
Argument par l'absurde ou par réduction à l'impossible :
Car si Il n'est pas possible d'être, alors Il est impossible d'être.
Et si Il est impossible d'être, alors Il n'est pas nécessaire d'être.

Il est nécessaire d'être, donc Il n'est pas possible d'être.
Argument par l'absurde ou par réduction à l'impossible :
Car si Il est possible d'être, alors Il est possible de ne pas être.
Et si Il est possible de ne pas être, alors Il n'est pas nécessaire d'être.

à suivre



4.2ᵉ question : Le possible et le contingent sont-ils logiquement équivalents ?

Le carré logique des modales a quelque chose d'étonnant : le possible et le contingent y sont équivalents. Figurés par les deux premières syllabes des mots Purpurea, Iliace, Amabimus, Edentuli, le possible et le contingent sont symbolisés par les mêmes deux premières voyelles initiales.
Le possible et le contingent semblent pourtant différer de sens, comme cela apparaît notamment dans l'unique argument du Proslogion ou La foi cherchant l'intelligence (Fides quaerens intellectum, 1070) d'Anselme de Cantorbéry (c. 1033–1109) :

Double mesure comparative de la grandeur
et déduction logique des modalités en Proslogion 2 et 3
Être en l'intelligence et ne pas être en réalité
Concept du possible
Être en l'intelligence et être en réalité
Concept du réel
Être en réalité et pouvoir être pensé ne pas être
Concept du contingent
Être en réalité et ne pouvoir être pensé ne pas être
Concept du nécessaire

1. Première mesure de la grandeur : Possible < Réel
2. Division logique du réel selon les contradictoires : Contingent ou Nécessaire
3. Seconde mesure de la grandeur : Contingent < Nécessaire

à suivre


Quant à l'emploi de 'contingent', il a quelque peu perdu du sens qu'il recevait chez Aristote. Désormais en effet on ne considère nullement 'contingent' comme équivalent de 'possible', quoiqu'il semble bien l'avoir entendu en ce sens en son traité sur les propositions modales.
Jean de Salisbury, Metalogicon, III, 4
Qu'est-ce qu'être possible ? Être en l'intelligence et ne pas être en réalité ? N'être pas contradictoire ? N'être pas impossible ? N'être pas nécessaire ?
Qu'est-ce qu'être contingent ? Être en réalité et pouvoir être pensé ne pas être ? Pouvoir être et pouvoir ne pas être ? N'être ni nécessaire, ni impossible ?
Pourquoi les contradictoires du carré logique des modalités sont-elles entre le nécessaire et le contingent, et entre le possible et l'impossible ?


Double détermination médiévale du possible :
causale et logique
Détermination
causale
(Fârâbî, Avicenne)
Possible
Ce dont l'être
nécessite une cause
Nécessaire
Ce dont l'être
ne nécessite pas de cause
Détermination
logique
Possible
Ce qui ne répugne pas
à la nature de la chose
Impossible
Ce qui implique
répugnance ou contradiction

à suivre



Dossier de lectures philosophiques
Boethius, On Aristotle On Interpretation 4-6. Éditions de Carolus Meiser.
Jaakko Hintikka, Aristotle’s Different Possibilities, dans Time and Necessity: Studies in Aristotle’s Theory of Modality
C. W. A. Whitaker, Aristotle’s De interpretatione: Contradiction and Dialectic (chap. 13)
Jules Vuillemin, Le carré Chrysippéen des modalités, Dialectica, vol. 37, n° 4
Susanne Bobzien, Chrysippus' Modal Logic and its relation to Philo and Diodorus
Simo Knuuttila, Modalities in Medieval Philosophy
Id., Modal Logic, dans Norman Kretzmann, Anthony Kenny, Jan Pinborg, Eleonore Stump (ed.), The Cambridge History of Later Medieval Philosophy
Id., Medieval Modal Theories and Modal Logic, dans Dov M. Gabbay, John Woods (ed.), Handbook of the History of Logic, vol. 2: Mediaeval and Renaissance Logic
Id., Medieval Theories of Modality, SEP
Riccardo Strobino and Paul Thom, The Logic of Modality dans The Cambridge Companion to Medieval Logic
Paul Thom, La logique abélardienne des modales de rebus
Maria Teresa Beonio-Brocchieri Fumagalli, The Logic of Abelard
Irene Binini, Possibility and Necessity in the Philosophy of Peter Abelard
Id., Possibility and Necessity in the Time of Peter Abelard
Sara L. Uckelman, Modalities in Medieval Logic
Id., Three 13th-century views of quantified modal logic
John Grey, The Modal Equivalence Rules of the Port-Royal Logic
Kristell Trego, L'impuissance du possible : Émergence et développement du possible, d'Aristote à l'aube des temps modernes



5ᵉ question : Ex falso/impossibili sequitur quodlibet
Le problème logique de la conséquence logique

Un autre problème logique porte sur la définition de la conséquence logique. Qu'est-ce qu'une conséquence logique ? Quelles en sont les règles logiques ? Du faux ou de l'impossible, que s'ensuit-il logiquement ? Que signifie la règle logique médiévale Ex falso sequitur quodlibet, ou Ex impossibili ou Ex contradictione (Du faux s'ensuit logiquement n'importe quoi) ? Quelles conséquences et quels paradoxes logiques entraîne-t-elle ?

Paris, XIIᵉ siècle. Différentes écoles philosophiques installées sur la rive gauche de la Seine se consacrent à l'étude et à la pratique de la dialectique. Chaque École de dialectique est attachée à un Maître en dialectique, parmi lesquels figurent quelques-uns des meilleurs dialecticiens de tous les temps :

Écoles philosophiques parisiennes du XIIᵉ siècle
École de Guillaume de Champeaux
(ca. 1070–1121)
à l'École du Cloître de la Cathédrale Notre-Dame de Paris à partir de 1095
puis à Saint-Victor après 1108.

Textes :
les Introductions à la dialectique (Introductiones dialecticae),
éd. par Lambert Marie de Rijk dans la Logica Modernorum, t. II/1, 131-145
École de Pierre Abélard
(1079–1142)
d'abord à Melun, puis à Corbeil, puis sur la montagne Sainte-Geneviève
de 1105/08 à ca. 1112, de ca. 1114 à 1118, puis entre 1130 et 1137.

Textes :
la somme de Logique introductive (Logica Ingredientibus), ca. 1118–20,
la somme de Logique des Nôtres (Logica Nostrorum petitioni sociorum), ca. 1125,
et la somme de Dialectique, ca. 1115–17, 1121–23 et 1135–37,
éd. par L. M. de Rijk en 1970
École des Montagniens
(Montani) ou Albériciens (Albrici)
d'Albéric de Paris

(ca. 1100–1160)
successeur d'Abélard sur la montagne Sainte-Geneviève à partir de 1138.

Textes :
Gloses sur les Réfutations sophistiques, Somme des Réfutations sophistiques (ca. 1155/60),
Introductions Montagniennes Majeures et Mineures, ca. 1130,
Abrégé Montagnien,
éd. par L. M. de Rijk dans la Logica Modernorum, t. I, 191-255, 265-458, t. II/2, 11-71, 77-107 ;
un Commentaire à l'Isagogè de Porphyre, un Commentaire aux Catégories d'Aristote,
un Commentaire au traité De l'interprétation d'Aristote,
un Commentaire sur le traité Des syllogismes hypothétiques de Boèce
(cf. L. M. de Rijk, Some new Evidence on twelfth century Logic:
Alberic and the School of Mont Ste Geneviève (Montani)
)
École des Meluniens (Melidunenses)
ou Robertiens (Robertini)
de Robert de Melun

(ca. 1100–1167)
successeur d'Abélard sur la montagne Sainte-Geneviève à partir de 1150, puis à Melun.

Textes :
l'Art melodunois (Ars Meliduna, ca. 1154–1180), remarquable traité
édité par L. M. de Rijk dans la Logica Modernorum, t. II/1, 264-390,
la Secte melunienne et les Sentences (ca. 1152–1160)
École des Parvipontains
(Parvipontani) ou Adamites (Adamiti)
d'Adam de Balsham

(ca. 1100–1181)
près du Petit-Pont.

Textes :
l'Art dialectique (Ars disserendi, 1132), édité par Lorenzo Minio-Paluello
dans Twelfth century Logic: Texts and Studies
,
et les Tromperies parvipontaines (Fallaciae parvipontanae),
tous deux édités par L. M. de Rijk dans la Logica Modernorum, t. I, 62-81 et 545-609
École des Porrétains (Porretani)
de Gilbert de Poitiers

(ca. 1085–1154)
Textes :
le Condensé porrétain de Logique (Compendium Logicae Porretanum, 1155–70),
édité en 1983 par Sten Ebbesen, Karin Margareta Fredborg,
Lauge Olaf Nielsen et Christopher J. Martin
,
et un Commentaire des Catégories d'Aristote édité par Sten Ebbesen


Que s'ensuit-il logiquement du faux ? L'Art melodunois (Ars Meliduna, ca. 1154–1180) rapporte l'affrontement dialectique de quatre thèses logiques en présence :
Thèse de l'École de Robert de Melun : Rien ne s'ensuit du faux (Nihil sequitur ex falso).
Thèse de l'École d'Adam de Balsham : Du faux s'ensuit n'importe quoi (Ex falso sequitur quodlibet). De l'impossible s'ensuit n'importe quoi (Ex impossibili sequitur quodlibet). Le nécessaire implique n'importe quoi (Necessarium sequitur ad quodlibet). Conséquence des Adamites (Consequentia Adamitorum)

à suivre


La division logique de la conséquence en
conséquence naturelle ou formelle et conséquence accidentelle ou matérielle


à venir


Soit a l'antécédent et c le conséquent d'une conséquence logique a → c :

Table de vérité de l'implication matérielle a → c (a implique c, ou si a, alors c)
antécédent conséquent conséquence a → c
Vrai Vrai Vraie
Vrai Faux Fausse
Faux Vrai Vraie
Faux Faux Vraie


Dossier de lectures philosophiques
Lambertus Marie de Rijk, Logica Modernorum. A Contribution to the History of Early Terminist Logic, Vol. I: On the Twelfth century Theories of Fallacy ; Vol. II/1: The origin and early development of the Theory of Supposition ; Vol. II/2: The origin and early development of the Theory of Supposition: Texts and Indices
Id., Some earlier parisian Tracts on Distinctiones Sophismatum
Yukio Iwakuma, Twelfth-Century Nominales: The Posthumous School of Peter Abelard
Id., Parvipontani‘s Thesis Ex Impossibili Quidlibet Sequitur: Comments on the sources of the thesis from the twelfth century
Id., Pierre Abélard et Guillaume de Champeaux dans les premières années du XIIᵉ siècle : une étude préliminaire
Id., Vocales Revisited
Id., Alberic of Paris on Mont Ste Geneviève against Peter Abelard
Id., Yukio Iwakuma Twelfth Century Logic Hope Page
Id., Yukio Iwakuma’s Folders on Logical Manuscripts (circa 800–1220), on Logicalia Medievalia: Latin logical manuscripts before 1220
Christopher John Martin, Theories of Inference and Entailment in the Middle Ages
William J. Courtenay, Nominales and Rules of Inference
Joke Spruyt, Thirteenth-Century Positions on the Rule ‘Ex Impossibili Sequitur Quidlibet‘
Angel d'Ors, Ex impossibili quodlibet sequitur (John Buridan)
Sara L. Uckelman, Ex impossibili sequitur quidlibet in the 12th century, Ex impossibili sequitur quidlibet in the 13th century: part 1, part 2
Graham Priest, Koji Tanaka, Zach Weber, Paraconsistent Logic, SEP



Les premiers ateliers philosophie pour enfants ont lieu à l'occasion de la Fête de la science le 12 octobre 2018 avec une classe d'élève de Seconde du Lycée Jeanne d'Arc de Clermont-Ferrand, Auvergne.


Choix de lectures philosophiques
Benoît Patar, Dictionnaire des philosophes médiévaux
Steeven Chapados, Dictionnaire philosophique et historique de la Logique
Norman Kretzmann, Anthony Kenny, Jan Pinborg, Eleonore Stump (ed.), The Cambridge History of Later Medieval Philosophy
Eleonore Stump, Dialectic and its place in the development of Medieval Logic
Alain de Libera, Roger Bacon et la référence vide
Id., Les nominaux et les réaux : sophismata et consequentiae dans la logique médiévale
Id., La querelle des universaux : de Platon à la fin du Moyen Âge
Id., L'art des généralités. Théories de l'abstraction
Id., La référence vide. Théories de la proposition
Id., L'archéologie philosophique. Séminaire du Collège de France 2013–2014, 19 juin et 26 juin 2014
Fedor Benevich, The reality of the non-existent object of thought: the possible, the impossible, and mental existence in islamic philosophy (11-13th)
Luisa Valente, Logique et Théologie : Les écoles parisiennes entre 1150 et 1220
Sten Ebbesen, The Chimera's Diary
Id., Talking about what is no more. Texts by Peter of Cornwall (?), Richard of Clive, Simon of Faversham, and Radulphus Brito
Virginie Greene, Logical Fictions in Medieval Literature and Philosophy
Irene Binini, My current research on 12th century Logic
Catarina Dutilh Novaes, Formalizing Medieval Logical Theories: Suppositio, Consequentiae and Obligationes
Id. and Stephen Read (ed.), The Cambridge Companion to Medieval Logic
Id., Medieval Theories of Consequence, SEP
Guillaume d'Ockham, Somme de logique, Seconde partie, chapitres 12 et 14 ;
Jean Buridan, Petites Sommes de logique, Traité des suppositions et Traité sur la pratique des sophismes ; Questions sur le Traité de l'âme, L. III, Q. 15 et III, Q. 13 ; Le Traité des conséquences, I, ch. 5 et I, ch. 8, 16e théorème ; Questions sur le Peri hermeneias, I, Q. 2 : Tout nom signifie-t-il quelque chose ? dans Questions sur l'Art ancien ; Questions sur la Métaphysique d'Aristote, IV, Q. 10 et 14, VI, Q. 7 et 8.
Earline Jennifer Ashworth, Chimeras and Imaginary Objects: A Study in the post-medieval Theory of Signification
Carlos A. Dufour, Die Lehre der Proprietates Terminorum : Sinn und Referenz in mittelalterlicher Logik
Joël Biard, Logique et théorie du signe au quatorzième siècle
Mental Being in Late Medieval Thought: From Concepts to Chimera, International Conference, 31 May – 1 June, 2019, Institute of Philosophy, KU Leuven
Marie-Luce Demonet, Les êtres de raison, ou les modes d'être de la littérature
Francisco Suárez, Disputes métaphysiques, LIV : Les êtres de raison
Daniel D. Novotný, Ens rationis from Suárez to Caramuel: A Study in Scholasticism of the Baroque Era