Les autres philosophes | Philosophie pour enfants ou adultes: L'Argument métaphysique

L'Argument métaphysique

Dialogue de l'argument sur l'être de Dieu
À maman, Nadine Sourdeix
1955 – 2018
Itinéraire de la vie après la mort
Parler de Dieu est impossible – mais nécessaire.
Luisa Valente, Logique et Théologie : Les écoles parisiennes entre 1150 et 1220

Qu'est-ce qu'un argument philosophique ? Comment concevoir – au triple sens du terme : saisir par la pensée, engendrer, comprendre ou recueillir – un argument ? Quel est le mouvement logique par lequel se développe la pensée ? Cette proposition originale d’ateliers philosophie, en cours de création, est consacrée à l'âme du questionnement philosophique, la logique, à travers la découverte et l'analyse logique du meilleur argument philosophique pensable, conçu par quelques-uns des meilleurs philosophes et logiciens de tous les temps.

L'Argument métaphysique est au centre des deux disciplines philosophiques par excellence : la logique et la métaphysique. Il est l'argument des arguments, parce que sa conception et son analyse sollicitent et exercent les meilleures connaissances pensables en matière logique, et impliquent de poser les questions logiques élémentaires sur les concepts, les principes et les opérations logiques élémentaires :
Qu'est-ce qu'une idée ou un concept ? Que signifie concevoir un concept ? Qu'est-ce qu'un raisonnement ? Qu'est-ce qu'un argument ou un moyen terme ? Qu'est-ce qu'une conséquence logique ?
Qu'est-ce qui différencie une conséquence logique d'un raisonnement d'une conclusion qui ne s'ensuit pas logiquement des prémisses ? Qu'est-ce que le raisonnement par l'absurde ou par réduction à l'impossible ? Qu'est-ce que la contradiction ? Que signifient les modalités logiques – le nécessaire, l'impossible, le possible et le contingent – et quelles sont leurs relations logiques ?, Qu'est-ce que l'analyse logique ?, Quel est l'ordre logique en lequel questions & réponses s'ensuivent logiquement ou nécessairement les unes des autres ? Comment concevoir des objections à un argument, et des réponses aux objections ?

Il est aussi l'argument en lequel les principales questions métaphysiques se rencontrent : la question du sens de l'être, la question logico-métaphysique des universaux et du triangle sémantique des mots, des concepts et des choses, la question des transcendantaux (l'un, le vrai, le bien, l'étant, la chose, le quelque chose, le néant), la question de la nature de l'existence et de la distinction (réelle, modale ou bien formelle ou de raison ?) de l'essence et de l'existence de l'étant, la question de la polysémie (équivocité, analogie ou univocité ?) de l'être.


Argument par quelque chose dont rien de plus grand ne puisse être pensé
démontré par réduction à l'absurde
Unique argument du Proslogion ou La foi cherchant l'intelligence (Fides quaerens intellectum, 1070)
d'Anselme de Cantorbéry (c. 1033–1109)
…à part moi je me mis à chercher, si d'aventure il se pouvait découvrir un unique argument, qui n'eût besoin de nul autre que de soi seul pour se prouver, et qui à lui seul établît que Dieu est vraiment, qu'il est le bien suprême n'ayant besoin de nul autre et dont tout à besoin pour être et être bon, et tout ce que nous croyons de la substance divine.
Anselme, Préambule au Proslogion


Manuscrit (détail) du XIIᵉ s. du Proslogion d'Anselme. Abbaye Notre-Dame de Cîteaux, ms 182 (146) fol. 76 v°. Source : Bibliothèque municipale de Dijon.
Les traductions existantes étant erronées et trompeuses, je traduis l'original latin à nouveau. Le texte dit :
Chapitre II : Que vraiment Dieu est

Donc, Seigneur, qui donnes l'intelligence à la foi, donne-moi, autant que tu le trouves bon d'intelliger, que tu es comme nous le croyons, et que tu es ce que nous croyons. Et en effet nous te croyons être quelque chose dont rien de plus grand ne puisse être pensé.
Une telle nature n'est-elle pas, parce que l'Insensé a dit en son cœur « Dieu n'est pas » ?
Mais il est certain que ce même insensé, quand il entend cela même que je dis, quelque chose dont rien de plus grand ne peut être pensé, intellige ce qu'il entend, et que ce qu'il intellige est en son intelligence, même s'il ne l'intellige pas être. Car une chose est que la chose soit en l'intelligence, une autre d'intelliger la chose être. […]
Même l'insensé doit donc convenir être au moins en l'intelligence quelque chose dont rien de plus grand ne peut être pensé, puisqu'il intellige ce qu'il entend, et que tout ce qui est intelligé est dans l'intelligence.
Et certainement ce dont plus grand ne peut être pensé, ne peut être en la seule intelligence. Car s'il est au moins en la seule intelligence, il peut être pensé être en elle et en réalité, ce qui est plus grand.
Donc si ce dont plus grand ne peut être pensé est dans la seule intelligence, alors cela même dont plus grand ne peut être pensé, est ce dont plus grand peut être pensé. Mais certainement ceci ne peut être.
Existe donc sans aucun doute quelque chose dont plus grand ne peut être pensé, et en l'intelligence et en réalité.

Chapitre III : Qu'il ne peut être pensé ne pas être

Cela est assurément si vraiment, qu'il ne peut être pensé ne pas être. Car il peut être pensé être quelque chose qui ne puisse pas être pensé ne pas être, ce qui est plus grand que ce qui peut être pensé ne pas être. Par conséquent si ce dont plus grand ne peut être pensé peut être pensé ne pas être, alors cela même dont plus grand ne peut être pensé, n'est pas ce dont plus grand ne peut être pensé, ce qui ne peut convenir. Est donc si vraiment quelque chose dont plus grand ne peut être pensé, qu'il ne peut être pensé ne pas être.
Et tu es cela, Seigneur notre Dieu. Ainsi tu es donc si vraiment, Seigneur mon Dieu, que tu ne puisses pas être pensé ne pas être. Et justement. Car si quelque esprit pouvait penser quelque chose de meilleur que toi, la créature s'élèverait au-dessus du Créateur, et jugerait du Créateur, ce qui est assurément absurde. Et en effet quoi que ce soit d'autre que toi seul, peut être pensé ne pas être. Toi seul est donc le plus vrai de tout, et a donc l'être le plus grand de tous : car quoi que ce soit d'autre n'est pas si vraiment, et a donc moins d'être. Pourquoi donc l'insensé a-t-il dit en son cœur « Dieu n'est pas », alors qu'il est si manifeste pour l'esprit rationnel que tu es l'être le plus grand ? Pourquoi, sinon parce qu'il est sot et insensé ?

Chapitre IV : Comment l'insensé a-t-il dit en son cœur
ce qui ne peut être pensé ?

Mais comment a-t-il dit en son cœur ce qu'il n'a pu penser, ou comment n'a-t-il pu penser ce qu'il a dit en son cœur, puisque c'est le même de dire en son cœur et de penser ? Que si vraiment, bien plus parce que vraiment il l'a pensé puisqu'il l'a dit en son cœur, et ne l'a pas dit en son cœur puisqu'il ne pouvait le penser, c'est qu'il n'y a pas qu'une seule manière de dire quelque chose en son cœur ou de penser. D'une manière, en effet, une chose est pensée quand est pensé le mot qui la signifie, d'une autre quand est intelligé cela même qu'est la chose. De l'une Dieu peut être pensé ne pas être, mais de l'autre nullement. Nul, certes, intelligeant ce qu'est Dieu, ne peut penser que Dieu n'est pas, bien qu'il puisse dire ces paroles en son cœur, soit sans nulle signification soit avec quelque signification étrangère. Car Dieu est ce dont plus grand ne peut être pensé. Qui intellige bien cela, l'intellige par là même être tel, qu'il ne peut, pour la pensée non plus, ne pas être. Qui, par conséquent, intellige Dieu être tel, ne peut pas le penser ne pas être.
Merci à toi, bon Seigneur, merci à toi, car ce que j'ai d'abord cru par ton don, je l'intellige maintenant par ton illumination, à tel point que si je ne voulais te croire être, je ne pourrais ne pas l'intelliger.

Chapitre V : Que Dieu est tout ce qu'il est meilleur d'être que de ne pas être ;
et que seul existant par soi, il fait tout le reste du néant

Qu'es-tu donc, Seigneur Dieu, que rien de plus grand ne puisse être pensé ? Mais qu'es-tu si ce n'est ce qui summum de tout, seul existant par soi-même, a fait toutes les autres choses du néant ? Tout ce qui n'est pas cela en effet, est moindre que ce qui peut être pensé. Mais ceci ne peut être pensé de toi. Car quel bien peut faire défaut au souverain bien, par lequel est tout bien ? Tu es donc juste, vérace, bienheureux, et quoi que ce soit qu'il est meilleur d'être que de n'être pas. Il est meilleur en effet d'être juste que non juste, bienheureux que non bienheureux.
Analyse logique de l'argument (en cours)

1. Prière pour le don de l'intelligence de la foi
La prière est triple : prouver l'existence de Dieu, prouver son mode d'être, et prouver ce qu'est Dieu. Énoncé de l'argument (𝑎) ou moyen terme de la preuve. Description indéfinie, ni description définie russellienne, ni définition de Dieu.
2. Position de la question par la négative : Est-ce que 𝑎 n'est pas ?
Première apparition du personnage conceptuel de l'Insensé.
3. Solution de la question
Recherche du principe de la solution dans le moyen terme, commun aux deux propositions en contradiction : '𝑎 n'est pas' versus '𝑎 est'.
Prémisse 1 : 𝑎 est intelligé, même par l'insensé qui n'intellige pas 𝑎 être.
Prémisse 2 : Ce qui est intelligé est en l'intelligence. (Car la négation du conséquent contredit l'antécédent)
Prémisse 3 : L'être de la chose en l'intelligence diffère de l'intelligence de l'être de la chose.
4. Annonce de la 1ᵉ conséquence à démontrer : 𝑎 est en l'intelligence et en réalité
Modus ponens (1ᵉ indémontrable stoïcien : Si le 1ᵉ, le 2ᵈ. Le 1ᵉ. Donc le 2ᵈ) : si 𝑎 est en l'intelligence, 𝑎 peut être pensé être en elle et en réalité. L'implication logique est vraie car la contradictoire du conséquent contredit l'antécédent.
Mesure comparative de la grandeur : être en l'intelligence + pouvoir être pensé être en réalité > être en l'intelligence seule.
5. Démonstration par réduction à l'impossible
Modus tollens (2ᵉ indémontrable stoïcien : Si le 1ᵉ, le 2ᵈ. Non le 2ᵈ. Donc non le 1ᵉ). La supposition que la contradictoire de la conséquence à démontrer est vraie implique la contradiction '𝑎 est non 𝑎'. Contradiction de l'impossibilité de penser >𝑎 et de la possibilité de penser >𝑎.
6. Conclusion de la 1ᵉ question résolue
7. Annonce de la 2ᵉ conséquence à démontrer :
Il est impossible de penser 𝑎 ne pas être, i.e. l'existence de 𝑎 est nécessaire

Prémisse 1 (impliquée par la 1ᵉ conséquence démontrée : '𝑎 ne peut pas ne pas être', donc) : Il est possible de penser que 𝑎 ne peut pas ne pas être.
Mesure comparative de la grandeur : impossibilité d'être pensé ne pas être > possibilité d'être pensé ne pas être.
8. Démonstration par réduction à l'impossible
Modus tollens (Si le 1ᵉ, le 2ᵈ. Non le 2ᵈ. Donc non le 1ᵉ). La supposition que la contradictoire de la conséquence à démontrer est vraie implique la contradiction '𝑎 n'est pas 𝑎'. Contradiction du contingent et du nécessaire.
9. Conclusion de la 2ᵉ conséquence démontrée

10. Annonce de la 3ᵉ conséquence à démontrer : Dieu seul est 𝑎



P1 : L'existence de tout ce qui est autre que Dieu est contingente.
P2 : L'existence de 𝑎 est nécessaire. (2ᵉ conséquence démontrée).
C: Donc Dieu seul est 𝑎.





Seconde apparition du personnage conceptuel de l'Insensé.


















N. Action de grâce pour le don de la foi et son intelligence par l'illumination
Référence à la théorie de la connaissance augustinienne par illumination divine





N. Annonce de la 4ᵉ conséquence à démontrer : Tout est créé ex nihilo par Dieu




N. Démonstration par réduction à l'impossible


Principe du meilleur être, repris du Monologion chapitre 15. Ce que Jean Duns Scot appellera les perfections pures (Traité du premier principe, ch. 4, 3ᵉ conclusion ; Reportatio)

Argumentaire par questions et réponses
La négation de la négation
en cours d'invention


1ᵉ question : Comment l'esprit s'élève-t-il à la contemplation de Dieu ?
de l'extérieur à l'intérieur, de l'inférieur au supérieur (Augustin d'Hippone)
…quelqu'un qui s'efforce d'élever son esprit à la contemplation de Dieu et cherche à intelliger ce qu'il croit
Anselme, préambule à La foi cherchant l'intelligence

Ascension et division augustinienne des trois degrés ou espèces de connaissance
Connaissance intellectuelle
par l'intellect (νοῦς, intellectus, intelligentia)
de l'esprit
de la lumière intelligible de la vérité
Dieu
l'être même
Connaissance rationnelle et spirituelle
par le dialogue de l'esprit (mens ou spiritus)
avec la raison (ratio)
à la lumière intelligible de la vérité
fini ou infini
temporel ou éternel
muable ou immuable
contingent ou nécessaire
(transcendantaux disjonctifs)

l'étant, l'un, le vrai, le bon, le beau
(transcendantaux convertibles)
Connaissance sensible
par les sens ou l'imagination
de l'âme (anima, animus)
à la lumière sensible du soleil
le sensible, le corporel

l'insensé entend (ch. 2)

à suivre

Dossier de lectures philosophiques
Augustin d'Hippone, Œuvres
Bonaventure de Bagnoregio, Itinéraire de l'esprit jusqu'en Dieu
Étienne Gilson, Introduction à l'étude de saint Augustin ; Réflexions sur la controverse saint Thomas–saint Augustin ; Notes sur l'être et le temps chez saint Augustin ; L'esprit de la philosophie médiévale
Émilie Zum Brunn, Le dilemme de l'être et du néant chez saint Augustin
James F. Anderson, St. Augustine and Being: A Metaphysical Essay
Lydia Schumacher, Divine Illumination: The History and Future of Augustine's Theory of Knowledge


2ᵉ question : Qu'est-ce que le raisonnement par l'absurde ou par réduction à l'impossible ?
Analyse logique de la reductio ad absurdum ou reductio ad impossibile

Qu'est-ce que le raisonnement par l'absurde ? Sur quels principes logiques se fonde-t-il ? Et comment ? L'argument par réduction à l'absurde ou par réduction à l'impossible consiste par la négation contradictoire de la conséquence logique à démontrer, en la supposition de la vérité de cette négation, et en la réduction de celle-ci à une contradiction.
Les propositions contradictoires, sont des propositions opposées à la fois selon la quantité (universelle versus particulière) du sujet et selon la qualité (affirmative versus négative) de la copule.
Par le principe de non-contradiction, selon lequel il est impossible que les contradictoires soient simultanément vraies, la contradiction est fausse. Par le principe logique selon lequel si le conséquent est faux l'antécédent l'est, la contradiction implique en retour la fausseté de la négation initiale de la conséquence, et par le principe du tiers exclu (tertium non datur) selon lequel deux propositions contradictoires ne peuvent être simultanément fausses, la vérité de la conséquence niée s'ensuit donc nécessairement ou logiquement.

Quel est donc le mouvement logique du raisonnement par réduction à l'impossible ? Le mouvement logique du raisonnement par l'absurde consiste donc à passer par le faux pour parvenir au vrai, et plus exactement à conclure de l'impossible au nécessaire, de ce qui ne peut pas être à ce qui ne peut pas ne pas être. Le mouvement logique de la négation de la négation (contradiction), le mouvement par lequel la négation se nie.

L'étude de l'histoire de la déduction permet une meilleure compréhension de l'importance, historique et exemplaire, que revêt l'argument par réduction à l'absurde ou à l'impossible. Nous suivons ici les résultats des recherches sur les racines dialogiques de la déduction conduites par Catarina Dutilh Novaes dans le projet The Roots of Deduction (2011–2016) et The Dialogical Roots of Deduction: Historical, Cognitive, and Philosophical Perspectives on Reasoning, l'ouvrage à paraître en 2021 auquel il aboutit.
C'est en référence à l'argument par réduction à l'absurde ou à l'impossible que le concept de déduction lui-même est, à l'origine et longtemps, exclusivement employé. Dans les traductions par Boèce (ca. 480–525) des Premiers Analytiques et des Réfutations sophistiques d'Aristote, ‘εἰς τὸ ἀδύνατον ἀπᾰγωγή/ἀπάγειν’ est traduit par ‘déduction/déduire à l’impossible’. Cette signification de la déduction restreinte à l'argument par réduction à l'absurde s'étend jusqu'au quatorzième siècle, jusqu'aux environs de 1370. Une grande part de ce qui est à présent compris sous le concept de 'déduction' est alors traité sous le concept de 'conséquence'.
Pour qu'émerge la signification moderne de la ‘déduction’ – où une conclusion est déduite de prémisses –, deux transformations clés doivent avoir lieu : 1) la généralisation, de sorte que le terme d’une déduction puisse être tout type de résultat, pas nécessairement impossible ; 2) la réorientation, de sorte que l’objet d’une déduction soit la conclusion, pas nécessairement un contradicteur ou une thèse opposée.


3ᵉ question : Pourquoi raisonner par l'impossible est-il nécessaire ?

L'analyse des six implications logiques possibles trouve une raison d'argumenter par ce qui ne peut pas être pensé (être ou ne pas être), plutôt que par ce qui peut être pensé : des quatre parallèles – peut être pensé être, peut être pensé ne pas être, ne peut pas être pensé être, ne peut pas être pensé ne pas être –, seules les deux conséquences partant de l'impossible sont concluantes :

Système des six implications logiques
est peut être peut être pensé être
n'est pas peut ne pas être peut être pensé ne pas être
ne peut pas être pensé être ne peut pas être n'est pas
ne peut pas être pensé ne pas être ne peut pas ne pas être est
peut être pensé être
peut être pensé ne pas être


Pourquoi la nécessité du raisonnement par l'impossible se démontre-t-elle elle-même nécessairement ? En raison du concept même de la nécessité. Quelle est la division logique de la nécessité ? La nécessité se divise en nécessité absolue, simple ou nécessité hypothétique.

à suivre

Pourquoi raisonner par l'impossible est-il nécessaire ? En raison du concept même de la vérité, et de la division logique de la vérité qui s'ensuit :
31. Nos raisonnements sont fondés sur deux grands Principes, celui de la contradiction, en vertu duquel nous jugeons faux ce qui en enveloppe, et vrai ce qui est opposé ou contradictoire au faux.
32. Et celui de la Raison suffisante, en vertu duquel nous considérons qu'aucun fait ne saurait se trouver vrai ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu'il y ait une raison suffisante, pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement, quoique ces raisons le plus souvent ne puissent point nous être connues.
33. Il y a aussi deux sortes de Vérités, celles de Raisonnement et celles de Faits. Les Vérités de Raisonnement sont nécessaires et leur opposé est impossible, et celle de Faits sont contingentes et leur opposé est possible. Quand une vérité est nécessaire, on en peut trouver la Raison par l'Analyse, la résolvant en idées et en vérités plus simples, jusqu'à ce qu'on vienne aux primitives.
Gottfried Wilhelm Leibniz (1646–1716), Principes de la philosophie ou Monadologie (1714)


4ᵉ question : Que signifie concevoir un argument ?

Concevoir – au triple sens du terme : saisir par la pensée, engendrer, recueillir ou com-prendre – l’argument prouvant l’être de Dieu signifie comprendre qu’il est la tâche de concevoir ce qu'est un argument.

Qu'est-ce que la dialectique médiévale, la culture logique au sein de laquelle l'argument est conçu ? Quels sont les livres de dialectique présents dans la bibliothèque de l'Abbaye du Bec où Anselme conçoit et compose l'argument ? Quelles sont les sources logiques médiévales à partir desquelles l'argument est composé ? L'une des principales sources de l'art dialectique au temps d'Anselme est le corpus de textes formé des commentaires et des traités logiques de Boèce :

Division de la dialectique médiévale au XIᵉ siècle
science des termes

Théorie des prédicables ou universaux
Théorie des catégories ou prédicaments
Théorie des transcendantaux
science de la proposition

Théorie de l'opposition
Théorie des modalités
science du raisonnement

Théorie des topiques
Théorie du syllogisme
Commentaires et traités logique de Boèce (ca. 480–525)
Dialogue sur l'Isagogè de Porphyre
Commentaire de l'Isagogè de Porphyre
Commentaire des Catégories d'Aristote
De la division
Commentaire mineur
et Commentaire majeur du
De l'interprétation d'Aristote
Commentaire des Topiques de Cicéron
Des différences topiques

Scholies sur les Iᵉ Analytiques d'Aristote
Introduction aux syllogismes catégoriques
Des syllogismes catégoriques
Des syllogismes hypothétiques

Outre les livres de Boèce, une liste de livres de la bibliothèque de l'Abbaye du Bec du début du XIIᵉ siècle mentionne la présence de l'un des autres fondements de l'étude médiévale de la dialectique : la Dialectique de Martianus Capella (Vᵉ s.), le quatrième livre des Noces de Philologie et de Mercure (420), héritière d'un millénaire de tradition logique aristotélicienne et stoïcienne hellénique et romaine, accompagné de son Commentaire par Rémi d'Auxerre (ca. 841–908).

Parmi les œuvres logiques de Boèce, deux sont consacrées à la théorie des topiques, la première des deux principales branches en lesquelles la dialectique se divise. Comme le dit Pierre Abélard (1079–1142) au premier livre, les Gloses sur Porphyre, de l'une de ses Sommes de Logique :
§ 8 Mais par quelle partie la science du présent ouvrage tend vers la logique, cela est aussitôt reconnu si d'abord nous avons diligemment distingué les parties de la logique. Or il y en a deux – selon les auteurs Cicéron et Boèce – qui composent la logique, à savoir la science de découvrir des arguments et celle de juger, c'est-à-dire de confirmer et de corroborer ceux découverts. Deux choses sont en effet nécessaires à celui qui argumente, d'abord qu'il découvre les arguments par lesquels il argumente, ensuite si quelqu'un les critique en tant que vicieux ou bien pas assez fermes, qu'il sache les confirmer. D'où Cicéron dit que la découverte est naturellement antérieure. Or c'est à l'une et l'autre partie de la logique, mais surtout à la découverte, que se rapporte la science du livre de Porphyre : aussi est-elle une certaine partie de la science de découvrir. Comment en effet un argument peut-il être tiré du genre ou bien de l'espèce comme des trois autres éléments, sauf une fois connus les points qui sont ici traités ? D'où Aristote lui-même introduit les définitions de ces éléments dans ses Topiques, quand il traite de leurs lieux, comme aussi Cicéron dans ses Topiques. Mais puisqu’un argument est confirmé à partir des mêmes choses à partir desquelles il est découvert, cette science n’est pas étrangère au jugement. […]
La théorie des topiques porte sur la découverte et la confirmation des prémisses de l'inférence, la théorie du syllogisme porte sur la validité de la forme de l'inférence. La topique est la technique heuristique pour découvrir des arguments. Dans le texte commenté par Boèce, Cicéron compare la découverte d'arguments à la découverte des choses cachées : l'une comme l'autre implique la science du lieu (du grec topos) où les rechercher. La topique est donc définie comme le siège de l'argument.

à suivre

L'unique nécessaire : l'argument et Dieu

Homologie de l'argument et de Dieu
L'argument Dieu
unique seul
n'a besoin de nul autre que de soi seul
pour se prouver (préambule),
se prouve de soi par soi-même
(réponse à Gaunilon, 5)
est le bien suprême
n'ayant besoin de nul autre (préambule),
existant par soi-même (ch. 5)
la signification de cet énoncé
contient en soi une telle force
qu'elle prouve nécessairement
(réponse à Gaunilon, 10)

Que signifie l'homologie entre l'argument et Dieu ? Comment la tâche de concevoir ce qu'est un argument et la tâche de prouver l'être de Dieu n'en font-elles qu'une ? Comment le principe logique de la preuve et l'être de Dieu coïncident-ils ?

à suivre

Dossier de lectures philosophiques
Niels Jørgen Green-Pedersen, The Tradition of the Topics in the Middle Ages: The Commentaries on Aristotle's and Boethius' 'Topics'
Eleonore Stump, Dialectic and its place in the development of Medieval Logic
Peter Boschung, Boethius and the early medieval 'Quaestio'
Id., From a Topical Point of View: Dialectic in Anselm of Canterbury's De Grammatico
Toivo J. Holopainen, Anselm's Argumentum and the Early Medieval Theory of Argument
Jacob Archambault, The trivium at Bec and its bearing on Anselm’s program of faith seeking understanding
Christophe Geudens, Louvain Theories of Topical Logic (c. 1450–1533): A Reassessment of the Traditionalist Thesis
Erwin Panofsky, Architecture gothique et pensée scolastique


5ᵉ question : Qu'est-ce que la grandeur ?
Ce qui nous frappe, dans la vue du monde créé, c'est d'abord le fait qu'il est […] ; ce qui frappe Augustin, dans la vue de ce même monde, c'est au contraire le fait qu'il n'est pas vraiment.


Analysons logiquement les deux propositions suivantes :

P1 : Rien n'est plus grand que 𝑥.
P2 : 𝑥 est plus grand que tout.

De quelles espèces logiques sont l'une et l'autre proposition ? Les deux propositions diffèrent selon la qualité (négative versus affirmative) et selon la quantité (universelle versus particulière). La première proposition est une proposition négative universelle, E. La seconde proposition est une proposition affirmative particulière, I.

Y a-t-il conversion ou réciprocation logique de l'une à l'autre proposition ? La seconde (affirmative particulière, I) n'est pas la converse ou la réciproque logique de la première (universelle négative, E), car la seconde affirme plus que la première. La première n'affirme pas que rien ne soit aussi grand que 𝑥, ce dont la seconde est justement l'affirmation. Paradoxalement, la seconde proposition n'est donc pas logiquement équivalente à la première.

Que signifie donc cette différence logique paradoxale quant à la grandeur ? Il y a deux sens de la grandeur et deux manières de penser la grandeur, qu'il faut bien distinguer : penser la grandeur comparativement ou relativement, et penser la grandeur absolument ; penser la grandeur par l'affirmation, et penser la grandeur par la négation ; la grandeur relative, et la grandeur absolue. Quelle grandeur l'argument d'Anselme pense-t-il ? Et comment l'argument d'Anselme pense-t-il la grandeur ?

Double mesure comparative de la grandeur et déduction logique des modalités en Proslogion 2 et 3
Être en l'intelligence et ne pas être en réalité
Concept du possible
Être en l'intelligence et être en réalité
Concept du réel
Être en réalité et pouvoir être pensé ne pas être
Concept du contingent
Être en réalité et ne pouvoir être pensé ne pas être
Concept du nécessaire

1. Première mesure de la grandeur : Possible < Réel
2. Division logique du réel selon les contradictoires : Contingent ou Nécessaire
3. Seconde mesure de la grandeur : Contingent < Nécessaire


Distinction médiévale des deux sens de l'infini :
infini physique ou mathématique et infini métaphysique ou théologique
Infini privatif

Ce en dehors de quoi il y a toujours quelque chose
(Aristote, Physique III, 6)
Infini "négatif"

Ce en dehors de quoi il n'y a rien
Ce qui n'est limité ou contracté par rien,
à quoi rien ne peut être ajouté
(Thomas d'Aquin, Somme théologique, Iᵃ, q. 7)

à suivre



6ᵉ question : Quel est le sens des modalités ?
Le possible, l'impossible, le nécessaire et le contingent

Qu'est-ce que le possible, l'impossible, le nécessaire et le contingent ? Que signifie être possible ?

Quel est le sens des modalités ?
Double détermination médiévale du possible
et des autres modalités
Détermination
causale
Possible
Ce dont l'être
nécessite une cause
Nécessaire
Ce dont l'être
ne nécessite pas de cause
Détermination
logique
Possible
Ce qui ne répugne pas
à la nature de la chose
Impossible
Ce qui implique
répugnance ou contradiction

La détermination médiévale du possible et des autres modalités est double : causale et logique. Que signifie la double détermination du sens des modalités quant au sens du raisonnement par réduction à l'impossible conçu par Anselme ?

Que signifie ne pas pouvoir être pensé ne pas être ? Ne pas pouvoir être pensé ne pas être peut être interprété selon deux sens :

Ne pas pouvoir être pensé ne pas être
peut signifier, au sens causal ou basé sur la puissance d'un agent,
Je n'ai pas le pouvoir de penser que x n'est pas

Ne pas pouvoir être pensé ne pas être
peut signifier, au sens logique,
Que x ne soit pas n'est pas pensable sans contradiction,
car sa non existence est logiquement contradictoire


à suivre



7ᵉ question : Quelle est la théorie logique des propositions modales ?

Quel carré logique de l'opposition des propositions modales Anselme a-t-il sous les yeux quand il compose son argument ? Quelles sont les sources d'Anselme en matière de théorie logique des modalités ? Le traité De l'interprétation d'Aristote, les commentaires mineur et majeur de Boèce à celui-ci, le commentaire de Gerbert d'Aurillac, le Pape Sylvestre II.

Une proposition modale se compose d'un mode (le possible, le contingent, l'impossible, le nécessaire, le vrai, le faux) et d'un dictum (affirmatif ou négatif), par exemple «Il est possible que Socrate argumente». La composition des deux composants engendre (4 × 4) seize propositions modales, qui se divisent en quatre espèces quadripartites, symbolisées dans la logique médiévale par les voyelles a, e, i, u :
a : affirmation du mode et affirmation du dictum.
e : affirmation du mode et négation du dictum.
i : négation du mode et affirmation du dictum.
u : négation du mode et négation du dictum.

Les quatre espèces de propositions modales sont signifiées dans les mots Purpurea, Iliace, Amabimus et Edentuli, dont chaque syllabe correspond à une proposition modale :

Pur-  Il n'est pas possible de ne pas être                 I-  Il n'est pas possible d'être
   pu-  Il n'est pas contingent de ne pas être                li-  Il n'est pas contingent d'être
 re-  Il est impossible de ne pas être                      a-  Il est impossible d'être     
    a  Il est nécessaire d'être           contraires           ce  Il est nécessaire de ne pas être
c                                       c
o                                  o
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 A-  Il est possible d'être           subcontraires       E-  Il est possible de ne pas être
     ma-  Il est contingent d'être                            den-  Il est contingent de ne pas être
          bi-  Il n'est pas impossible d'être                      tu-  Il n'est pas impossible de ne pas être
 mus  Il n'est pas nécessaire de ne pas être              li  Il n'est pas nécessaire d'être

Carré logique des quatre espèces (subalternation, subcontrariété, contrariété, contradiction) de l'opposition logique
et de l'équipollence ou équivalence logique des quatre espèces (nécessaire, impossible, possible, contingent) des propositions modales, XIIᵉ siècle.

à suivre

Dans le premier traité du corpus logique aristotélicien, le traité De l'interprétation, se trouvent deux propositions :
P1 : Le nécessaire est possible.
P2 : Le possible exclut le nécessaire.

Dans le carré logique, le passage en question est celui qui va de Purpurea à Amabimus, et d'Amabimus à Purpurea.
Cette contradiction est encore mise en lumière en 1580 dans les Tables de logique de Giacomo Zabarella (1533–1589) où le philosophe de Padoue écrit :
En outre de celle-ci il est nécessaire d'être, on peut inférer donc il est possible d'être : mais de celle-ci selon les Anciens s'ensuit celle-là il n'est pas nécessaire d'être : donc du premier au dernier s'ensuit s'il est nécessaire d'être, il n'est pas nécessaire d'être, et ainsi une contradictoire s'ensuivrait de sa contradictoire, ce qui est absurde.
On doute si est vrai ce qui a été pris pour argumenter contre les Anciens, à savoir que de celle-ci, il est nécessaire d'être, s'ensuit celle-là, il est possible d'être. En effet il y a une raison en faveur de chaque partie ; d'abord certes il semble que cela est correctement inférer ; car si cela ne s'ensuivait pas, il s'ensuivrait donc sa contradictoire, qui est il n'est pas possible d'être, mais c'est manifestement absurde, que cela, qu'il est nécessaire d'être, ne soit pas possible, donc si celle-ci ne s'ensuit pas, l'autre s'ensuit, et ainsi la conséquence est bonne, il est nécessaire d'être, donc il est possible d'être ;
Mais d'un autre côté elle ne semble pas correcte, car on dit possible ce qui peut être et ne pas être : donc si nous disons correctement il est nécessaire d'être, donc il est possible d'être, il s'ensuit que le nécessaire peut être et ne pas être, ce qui est absurde ;
à suivre

Dossier de lectures philosophiques
Jaakko Hintikka, Aristotle’s Different Possibilities, dans Time and Necessity: Studies in Aristotle’s Theory of Modality
C. W. A. Whitaker, Aristotle’s De interpretatione: Contradiction and Dialectic (chap. 13)
Jules Vuillemin, Le carré Chrysippéen des modalités, Dialectica, vol. 37, n° 4
Susanne Bobzien, Chrysippus' Modal Logic and its relation to Philo and Diodorus
Simo Knuuttila, Modalities in Medieval Philosophy
Id., Medieval Theories of Modality, SEP
Riccardo Strobino and Paul Thom, The Logic of Modality dans The Cambridge companion to Medieval Logic
John Grey, The Modal Equivalence Rules of the Port-Royal Logic



8ᵉ question : Quelle est la définition de la conséquence logique ?

Comment le concept de conséquence logique se définit-il ? Quelle différence y a-t-il entre une conditionnelle, a → c, et une implication logique, a ⊃ c ? Que signifie la différence entre conséquence naturelle ou formelle et conséquence accidentelle ou matérielle ?

à suivre

Dossier de lectures philosophiques
Christopher John Martin, Theories of Inference and Entailment in the Middle Ages
Catarina Dutilh Novaes, Medieval Theories of Consequence, SEP
Gyula Klima, Consequence dans The Cambridge companion to Medieval Logic



9ᵉ question : Qu'est-ce que la négation ?
Définition logique du concept de la négation logique

Cette question s'ensuit logiquement de la réponse à la 1ᵉ, puisque le mouvement logique de l'argument par réduction à l'impossible se définit comme le mouvement logique de la négation de la négation. Qu'est-ce donc que la négation ?
Ce par quoi le concept lui-même progresse, c'est le négatif qu'il a en soi-même ; cela constitue le véritable dialectique.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Science de la Logique, 1, XXIII

Division logique de la négation en négation simple et négation dialectique

à suivre



10ᵉ question : Qu'est-ce que le néant ? Que signifie rien ?

Ce dont rien de plus grand ne peut être pensé. Que signifie rien ? Rien d'étant ou rien de pensable ? Que signifie rien de pensable ?

La question du rien impliquée par l'argument est à la fois une question logique – Pour quoi rien suppose-t-il ? À quoi rien fait-il référence ? –, et une question métaphysique – Qu'est-ce que rien ? –, ce qui signifie notamment une question sur l'un des transcendantaux, quelque chose (aliquid) par opposition à rien (nihil).

à suivre

Dossier de lectures philosophiques
Jérôme Laurent et Claude Romano (dir.), Le Néant : Contribution à l'histoire du non-être dans la philosophie occidentale
Ben Novak, Anselm on Nothing
Ernesto Mayz Vallenilla, Le problème du néant chez Kant



11ᵉ question : Que signifie penser l'insensé ?

Les concepts, nous le verrons, ont besoin de personnages conceptuels qui contribuent à leur définition. […] Et la philosophie ne cesse de faire vivre des personnages conceptuels, de leur donner la vie.
Gilles Deleuze, Qu'est-ce que la philosophie ?

L'argument montre la pensée aux prises avec son autre. Quel est l'autre de la pensée ? Et d'abord, qu'est-ce qui n'est pas l'autre de la pensée ? L'autre de la raison n'est pas la foi, bien au contraire et contrairement au préjugé. Ce que la raison ou la foi, la foi cherchant l'intelligence, rencontre et affronte comme son adversaire n'est pas l'infidèle, ni l'incroyant, mais quelque chose de bien plus profond : l'insensé.

L'insensé apparaît à nouveau au §125 du Gai savoir de Friedrich Nietzche.

Quels sont les traits déterminants de l'insensé ? Nous pouvons au moins en distinguer trois : ce dont l'insensé parle – Dieu –, la brièveté de la pensée qu'il prononce – « Dieu n'est pas » d'une part, « Dieu est mort » d'autre part –, son nom – indiquant qu'il ne s'agit pas de l'athéisme mais du sens lui-même.
à suivre




12ᵉ question : Quelle relation y a-t-il entre être, être en l'intelligence et être pensé ?

Qu'est-ce que l'argument, quelque chose dont rien de plus grand ne peut être pensé, signifie et implique quant à la nature de la pensée ? Étudions, à nouveau, la double mesure de la grandeur en Proslogion II et III :

Double mesure comparative de la grandeur et déduction logique des modalités en Proslogion 2 et 3
Être en l'intelligence et ne pas être en réalité
Concept du possible
Être en l'intelligence et être en réalité
Concept du réel
Être en réalité et pouvoir être pensé ne pas être
Concept du contingent
Être en réalité et ne pouvoir être pensé ne pas être
Concept du nécessaire

D'une part, les modalités de l'être lui-même – le possible, le réel, le contingent, le nécessaire – se déterminent en fonction de l'intelligence et du pensable.
D'autre part, la preuve logique de l'argument s'organise elle-même selon ces deux plans : l'intelligence (et la non-intelligence), au chapitre 2, le pensable (et l'impensable), au chapitre 3, et leur relation, au chapitre 4. Comment l'intelligence et la pensée sont-elles respectivement et mutuellement déterminées ?
Le domaine du pensable comprend ce qui peut être pensé (ce qui est non-contradictoire) et ce qui ne peut être pensé (ce qui est contradictoire). Le pensable est donc déterminé par la contradiction.

à suivre


13ᵉ question : Que signifie l'inclusion de la liaison à la pensée dans l'être de Dieu ?
De l'être de Dieu en l'intelligence à l'intelligence de l'être de Dieu

Quelle relation y a-t-il entre la vérité et son intelligence logique ?
Réponse à venir


Choix de lectures philosophiques
Anselme de Cantorbéry, Monologion ; Proslogion
Alexandre Koyré, L'idée de Dieu dans la philosophie de St. Anselme
Karl Barth, Saint Anselme. Fides quaerens intellectum : La preuve de l'existence de Dieu
Étienne Gilson, Sens et nature de l'argument de Saint Anselme. Cours au Collège de France, 1934
Jean Paulus, Henri de Gand et l'argument ontologique
Henry of Ghent, Summa quaestionum ordinarium: Questions on God’s Existence and Essence (Articles 21–24)
Desmond Paul Henry, The Logic of Saint Anselm
Jules Vuillemin, Le Dieu d'Anselme et les apparences de la raison
Yves Cattin, La preuve de Dieu. Introduction à la lecture du Proslogion de Anselme de Canterbury
Paul Gilbert, Dire l'Ineffable. Lecture du Monologion de S. Anselme
Id., Le Proslogion de S. Anselme. Silence de Dieu et joie de l'homme
Id., Unum argumentum et unum necessarium
Id., Anselme de Cantorbéry, «Maius» et «Significatio»
Id., L'impossible, selon Anselme de Cantorbéry
Gertrude Elizabeth Margaret Anscombe, Por qué la prueba de Anselmo en el Proslogion no es un argumento ontológico
György Geréby, What Anselm and Gaunilo told each other
Paul E. Oppenheimer and Edward Zalta, On the Logic of the Ontological Argument
Id., A Computationally-Discovered Simplification of the Ontological Argument
Gyula Klima, Saint Anselm's Proof: A problem of reference, intentional identity and mutual understanding
Jean-Pierre Desclés, La double négation dans l’Unum Argumentum analysé à l’aide de la logique combinatoire
Id., A Logical Analysis of the Anselm's Unum Argumentum (from Proslogion)
Alexander Baumgarten, L'Argument infini. Saint Anselme et le concept de hiérarchie du monde
Eileen Carroll Sweeney, Anselm of Canterbury and the Desire for the Word
Günther Eder and Esther Ramharter, Formal reconstructions of St. Anselm's ontological argument
Petr Dvořák, Self-Evident Propositions in Late Scholasticism: The Case of “God Exists”
Jacob Archambault, The trivium at Bec and its bearing on Anselm’s program of faith seeking understanding
Id., Monotonic and non-monotonic embeddings of Anselm's proof
Theory and Practice of Logical Reconstruction: Anselm as a Model Case, History of Philosophy & Logical Analysis, volume 17 (2014)
Kristell Trego, L'impuissance du possible : Émergence et développement du possible, d'Aristote à l'aube des temps modernes
Richard Campbell, Rethinking Anselm's Arguments: A Vindication of his Proof of the Existence of God
Toivo J. Holopainen, Anselm's Argumentum and the Early Medieval Theory of Argument
Id., A Historical Study of Anselm's Proslogion: Argument, Devotion and Rhetoric
Catarina Dutilh Novaes, Reductio ad absurdum from a dialogical perspective
Id., The Dialogical Roots of Deduction: Historical, Cognitive, and Philosophical Perspectives on Reasoning


Argument par l'idée de Dieu et Argument par l'essence de Dieu
Argument de la IIIᵉ et Argument de la Vᵉ des Méditations métaphysiques (1641) de René Descartes (1596–1650)
Le secret de toute la méthode consiste à regarder avec soin en toutes choses ce qu'il y a de plus absolu.
René Descartes, VIᵉ des Règles utiles et claires pour la direction de l'esprit en la recherche de la vérité


Portrait de René Descartes (détail), gravure de Jonas Suyderhoef d'après Frans Hals, 1657–1675. Source : Rijksmuseum, Amsterdam. Sur le portrait de Frans Hals et son histoire : Le philosophe, le prêtre et le peintre : Portrait de Descartes au Siècle d'or, par Steven Nadler.

Argument par l'idée de Dieu
démontré par l'analyse de l'idée de l'infini et par réduction à l'impossible
Argument de la IIIᵉ des Méditations métaphysiques (1641) de René Descartes

Mais il se présente encore une autre voie pour rechercher si, entre les choses dont j'ai en moi les idées, il y en a quelques-unes qui existent hors de moi. À savoir, si ces idées sont prises en tant seulement que ce sont de certaines façons de penser, je ne reconnais entre elles aucune différence ou inégalité, et toutes semblent procéder de moi d'une même sorte ; mais, les considérant comme des images, dont les unes représentent une chose et les autres une autre, il est évident qu'elles sont fort différentes les unes des autres. Car, en effet, celles qui me représentent des substances sont sans doute quelque chose de plus, et contiennent en soi (pour ainsi parler) plus de réalité objective, c'est-à-dire participent par représentation à plus de degrés d'être ou de perfection, que celles qui me représentent seulement des modes ou accidents. De plus, celle par laquelle je me représente un Dieu souverain, éternel, infini, immuable, tout connaissant, tout puissant, et Créateur universel de toutes les choses qui sont hors de lui ; celle-là, dis-je, a certainement en soi plus de réalité objective, que celles par qui les substances finies me sont représentées.
Maintenant c'est une chose manifeste par la lumière naturelle qu'il doit y avoir pour le moins autant de réalité dans la cause efficiente et totale que dans son effet : car d'où est-ce que l'effet peut tirer sa réalité, sinon de sa cause ? Et comment cette cause la lui pourrait-elle communiquer, si elle ne l'avait en elle-même ?
Et de là il s'ensuit, non seulement que le néant ne saurait produire aucune chose, mais aussi que ce qui est plus parfait, c'est-à-dire qui contient en soi plus de réalité, ne peut être une suite et une dépendance du moins parfait. […] Or, afin qu'une idée contienne une telle réalité objective plutôt qu'une autre, elle doit sans doute avoir de cela quelque cause, dans laquelle il se rencontre pour le moins autant de réalité formelle que cette idée contient de réalité objective. Car si nous supposons qu'il se trouve quelque chose dans l'idée qui ne se rencontre pas dans sa cause, il faut donc qu'elle tienne cela du néant ; mais, pour imparfaite que soit cette façon d'être, par laquelle une chose est objectivement ou par représentation dans l'entendement par son idée, certes, on ne peut pas néanmoins dire que cette façon et manière-là ne soit rien, ni par conséquent que cette idée tire son origine du néant. […]
Mais enfin que conclurai-je de tout cela ? C'est à savoir que, si la réalité objective de quelqu'une de mes idée est telle, que je connaisse clairement et distinctement qu'elle n'est point en moi, ni formellement, ni éminemment, et que par conséquent je ne puis pas moi-même en être la cause, il s'ensuit nécessairement que je ne suis pas seul dans le monde, mais qu'il y a encore autre chose qui existe, et qui est la cause de cette idée ; […]
Partant il ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle il faut considérer s'il y a quelque chose qui n'ait pu venir de moi-même. Par le nom de Dieu j'entends une substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute connaissance, toute puissante, et par laquelle moi-même, et toutes les autres choses qui sont (s'il est vrai qu'il y en ait qui existent) ont été créées et produites. Or ces avantages sont si grands et si éminents, que plus attentivement je les considère, et moins je me persuade que l'idée que j'en ai puisse tirer son origine de moi seul. Et par conséquent il faut nécessairement conclure de tout ce que j'ai dit auparavant que Dieu existe ; car, encore que l'idée de la substance soit en moi, de cela même que je suis une substance, je n'aurais pas néanmoins l'idée d'une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n'avait été mise en moi par quelque substance qui fût véritablement infinie.
IIIᵉ des Méditations métaphysiques, AT, IX, 32–33–34 et 36




Analyse logique de l'argument



Passage de la 1ᵉ voie par l'origine des idées à la 2ᵉ voie par la cause des idées.

Analyse de la réalité de l'idée en réalité formelle de l'idée et réalité objective de l'idée.

Analyse de la réalité objective de l'idée par réduction de la difficulté à des grandeurs comparables (…réduire la difficulté bien comprise au point que nous ne pensions plus qu'il s'agit de tel ou tel objet, mais seulement en général de grandeurs à comparer entre elles, XIIIᵉ des Règles utiles et claires pour la direction de l'esprit en la recherche de la vérité). Double équation : Égalité des idées selon la réalité formelle : 𝒊𝑥 = 𝒊𝑦. Inégalité des idées selon la réalité objective : 𝒊𝑥 ≠ 𝒊𝑦.

Mesure comparative de la quantité de réalité objective des idées de substances > à la quantité de réalité objective des idées d'accidents.

Réduction de l'énumération des idées de 3 (du ± réel : substance infinie, substance finie, accident) à 2 (substance infinie, substance finie).

Mesure comparative de la quantité de réalité objective de l'idée de la substance infinie > à la quantité de réalité objective des idées de substances finies.

Recherche de la cause par l'effet. (2ⁿᵈ des sortes de questions énumérées dans la XIIIᵉ des Règles). Mesure comparative de la quantité de réalité en la cause ≥ à la quantité de réalité en son effet,
Démonstration par réduction à l'impossible.

Conséquence. Détermination + précise de l'inconnu par exclusion : du néant par l'être, et du − par le +. Équation : quantité de perfection ∝ quantité de réalité. (Il faut qu'en toute question l'inconnu soit désigné par des conditions si précises que nous soyons entièrement déterminés à chercher une chose plutôt qu'une autre, XIIIᵉ des Règles).

Recherche de la cause par l'effet. Mesure comparative de la quantité de réalité formelle de la cause de l'idée ≥ à la quantité de réalité objective de idée,
Démonstration par réduction à l'impossible : la supposition que la négation contradictoire de la conséquence à démontrer est vraie implique contradiction.






Modus tollendo ponens : Ou le 1ᵉ ou le 2ⁿᵈ. Non le 1ᵉ. Donc le 2ⁿᵈ.
Le 5ᵉ indémontrable est celui en lequel tout le raisonnement est formé d'une disjonctive, de la contradictoire d'un de ses membres et conclut celui qui reste.














Démonstration par réduction à l'impossible : la supposition que la négation contradictoire de la conséquence à démontrer est vraie implique contradiction.
Argument par l'essence de Dieu
démontré par l'analyse de l'essence du parfait et par réduction à l'impossible
Argument de la Vᵉ des Méditations métaphysiques (1641) de René Descartes

Or maintenant, si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l'idée de quelque chose, il s'ensuit que tout ce que je reconnais clairement et distinctement appartenir à cette chose, lui appartient en effet, ne puis-je pas tirer de ceci un argument, qui prouve l'existence de Dieu ? Il est certain que je ne trouve pas moins en moi son idée, c'est-à-dire l'idée d'un être souverainement parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre que ce soit. Et je ne connais pas moins clairement et distinctement qu'une actuelle et éternelle existence appartient à sa nature, que je ne connais que tout ce que je puis démontrer de quelque figure ou de quelque nombre, appartient véritablement à la nature de cette figure ou de ce nombre. […] Bien qu'à la vérité cela ne paraisse pas d'abord entièrement manifeste, mais semble avoir quelque apparence de sophisme. Car, ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire distinction entre l'existence et l'essence, je me persuade aisément que l'existence peut être séparée de l'essence de Dieu, et qu'ainsi on peut concevoir Dieu comme n'étant pas actuellement. Mais néanmoins, lorsque j'y pense avec plus d'attention, je trouve manifestement que l'existence ne peut non plus être séparée de l'essence de Dieu, que de l'essence d'un triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux à deux droits, ou bien de l'idée d'une montagne l'idée d'une vallée ; en sorte qu'il n'y a pas moins de répugnance de concevoir un Dieu (c'est-à-dire un être souverainement parfait) auquel manque l'existence (c'est-à-dire auquel manque quelque perfection), que de concevoir une montagne qui n'ait point de vallée.
[…] De cela seul que je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui, et partant qu'il existe véritablement : non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu'elle impose aux choses aucune nécessité ; mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l'existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir en cette façon. Car il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection), comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes.
Vᵉ des Méditations métaphysiques, AT, IX, 52 et 53


Analyse logique de l'argument
(en cours)

















Objection à réfuter concluant, faussement, de la distinction de l'existence et de l'essence, à la possible séparation de l'existence de l'essence de Dieu.



Impossibilité de séparer l'existence de l'essence de Dieu,


Démonstration par réduction à l'impossible : la supposition que la négation contradictoire de la conséquence à démontrer est vraie implique contradiction.

Argumentaire par questions et réponses
De l'analyse de l'idée à l'idée de l'analyse

L'argumentaire par questions & réponses distinctement énumérées et ordonnées cherche à analyser ou retrouver l'ordre des raisons et à procéder selon l'ordre logique en et par lequel questions & réponses s'ensuivent logiquement les unes des autres.


1ᵉ question : Qu'est-ce qu'une idée ?

…Dans ce mot d'idée il y a ici de l'équivoque : car, ou il peut être pris matériellement pour une opération de mon entendement […] ; ou il peut être pris objectivement pour la chose qui est représentée par cette opération
Préface de l'auteur au lecteur des Méditations métaphysiques

Par la réalité objective d'une idée, j'entends l'entité ou l'être de la chose représentée par l'idée, en tant que cette entité est dans l'idée ; et de la même façon, on peut dire une perfection objective, ou un artifice objectif, etc.
Abrégé géométrique des Réponses aux IIᵉ Objections

Entre mes pensées, quelques-unes sont comme les images des choses, et c'est à celles-là seules que convient proprement le nom d'idée : comme lorsque je me représente un homme, ou une Chimère, ou le Ciel, ou un Ange, ou Dieu même.
IIIᵉ des Méditations métaphysiques, AT, IX, 29
Chimère logique médiévale, dont la queue de dragon végétale figure la division de la supposition des termes (personnelle, matérielle, etc.). Auteur anonyme, 1980. Source, histoire et analyse logique : Paul Vincent Spade's website


L'analyse de l'idée y distingue donc deux éléments simples, ou plutôt, distingue en l'idée sa double réalité (la réalité formelle de l'idée et la réalité objective de l'idée) :
1ᵉ : être pensée, activement, au sens strict pensée par l'entendement ;
2ᵉ : être idée d'une chose.

L'analyse de l'idée doit donc se dédoubler et se poursuivre doublement, dans une double perspective :
1ᵉ : dans la perspective de la pensée ;
2ᵉ : dans la perspective de l'objet de l'idée.

La question de la double analyse des idées se reposera aussi dans la question de l'ordre de l'analyse des idées et de l'analyse de l'ordre des idées, l'ordre en lequel je trouve les idées, puisque cet ordre peut s'entendre, doublement :
1ᵉ : au sens de l'ordre (lui-même double, logique ou chronologique) selon lequel s'opère la découverte et l'analyse des idées ;
2ᵉ : au sens de l'ordre (lui-même double, logique ou chronologique) des idées elles-mêmes.


2.1ᵉ question : De quoi l'idée est-elle l'idée ? Quel est l'objet (la réalité objective) d'une idée ?

La 2.1ᵉ question s'ensuit logiquement de la réponse à la 1ᵉ question. En dernière analyse, l'idée est soit l'idée de l'infini, soit l'idée d'une chose finie.


2.2ᵉ question : De quelle chose l'idée est-elle l'idée ? Quelle est la chose représentée par une idée ?

L'idée


Le motLa chose

Analyse du triangle sémantique à venir.

Lorsque vous reprenez ce que j'ai dit, à savoir, « qu'on ne peut rien ajouter ni diminuer de l'idée de Dieu », il semble que vous n'ayez pas pris garde à ce que disent communément les philosophes, que les essences des choses sont indivisibles ; car l'idée représente l'essence de la chose, à laquelle si on ajoute ou diminue quoi que ce soit, elle devient aussitôt l'idée d'une autre chose
Réponses aux Vᵉ Objections, AT, VII, 371


3.1ᵉ question : L'idée de l'infini est-elle seconde et négative ou la première et la plus positive (vera idea) des idées ?

La 3.1ᵉ question s'ensuit logiquement de la réponse à la 2.1ᵉ question.

Et je ne dois pas imaginer que je ne conçois pas l'infini par une véritable idée, mais seulement par la négation de ce qui est fini, de même que je comprends le repos et les ténèbres par la négation du mouvement et de la lumière : puisqu'au contraire je vois manifestement qu'il se rencontre plus de réalité dans la substance infinie que dans la substance finie, et partant que j'ai en quelque façon premièrement en moi la notion de l'infini, que du fini, c'est-à-dire de Dieu, que de moi-même. Car comment serait-il possible que je pusse connaître que je doute et que je désire, c'est-à-dire qu'il me manque quelque chose et que je ne suis pas tout parfait, si je n'avais en moi aucune idée d'un être plus parfait que le mien, par la comparaison duquel je connaîtrais les défauts de ma nature ?
IIIᵉ des Méditations métaphysiques, AT, IX, 36

Il n'est pas vrai que nous concevions l'infini par la négation du fini, vu qu'au contraire toute limitation contient en soi la négation de l'infini.
Réponses aux Vᵉ Objections, AT, VII, 365

Il est très vrai de dire que nous ne concevons pas l'infini par la négation de la limitation, et de ce que la limitation contient la négation de l'infini on infère à tort que la négation de la limitation contient la connaissance de l'infini ; parce que, ce par quoi l'infini diffère du fini est réel et positif ; au contraire, la limitation, par quoi le fini diffère de l'infini est non-être, ou négation de l'être ; or, ce qui n'est pas ne peut nous conduire à la connaissance de ce qui est ; c'est au contraire à partir de la connaissance de la chose que doit être perçue sa négation.
Lettre de Descartes à Hyperaspistes d'août 1641, AT, III, 426-27

Or je dis que la notion que j'ai de l'infini est en moi avant celle du fini, pour ce que, de cela seul que je conçois l'être ou ce qui est, sans penser s'il est fini ou infini, c'est l'être infini que je conçois ; mais, afin que je puisse concevoir un être fini, il faut que je retranche quelque chose de cette notion générale de l'être, laquelle doit par conséquent précéder.
Lettre de Descartes à Clerselier du 23 avril 1649, AT, V, 356


3.2ᵉ question : Quelle est la mesure de la quantité de perfection ou de réalité
de l'objet (de la réalité objective) d'une idée ?


La 3.2ᵉ question s'ensuit logiquement de la 3.1ᵉ question.

Car, en effet, les idées qui me représentent des substances sont sans doute quelque chose de plus, et contiennent en soi (pour ainsi parler) plus de réalité objective, c'est-à-dire participent par représentation à plus de degrés d'être ou de perfection, que celles qui me représentent seulement des modes ou accidents. De plus, celle par laquelle je me représente un Dieu souverain, éternel, infini, immuable, tout connaissant, tout puissant, et Créateur universel de toutes les choses qui sont hors de lui ; celle-là, dis-je, a certainement en soi plus de réalité objective, que celles par qui les substances finies me sont représentées.
IIIᵉ des Méditations métaphysiques, AT, IX, 32
La substance est à la fois pensée comme substrat d'un attribut et comme mesure de la +/− grande réalité de l'idée. La position d'une idée peut être située et mesurée selon ses coordonnées (𝑥 , 𝑦) sur un plan cartésien ordonné selon deux axes : l'axe substance/accident et l'axe infini/fini.

Plan cartésien (en cours)

𝑦
7
6
5
4
3
2
1
______________________________________________________________ 𝑥
  −7  −6  −5  −4  −3  −2  −1        0           1   2   3   4   5   6   7   8

−1
−2
−3
−4
−5
−6


4ᵉ question : En quoi consiste la vérité ou la fausseté d'une idée ?

La 4ᵉ question s'ensuit logiquement de la réponse à la 3.1ᵉ question.

L'analyse maximale (le doute) implique une double réduction à l'impossible : (1ᵉ : impossible que je ne sois rien ; 2ᵉ : impossible que Dieu n'existe pas). La contradiction impliquée dans la 1ᵉ et la 2ᵉ négation se réduit à une unique contradiction : quelque chose (moi ou Dieu) n'est rien. L'ordre en lequel l'analyse par réduction à l'impossible est résolue par Descartes montre que l'analyse par réduction à l'impossible ne présuppose pas la question de la vérité et de la fausseté, puisque la question de la vérité et de la fausseté n'est posée que dans la IVᵉ Méditation, après la démonstration de mon existence dans la IIᵉ Méditation et après la démonstration de l'existence de Dieu dans la IIIᵉ Méditation. C'est n'est au contraire qu'à partir de l'impossible et du néant d'une part et du nécessaire et de l'être d'autre part que la fausseté et la vérité peuvent et doivent être pensées.


Extraits à venir.
La contradiction est le signe infaillible, quand on peut la mettre au jour, de la fausseté d'une idée ; mais, en revanche, la non-contradiction ne saurait en garantir la vérité qu'autant qu'on serait sûr d'en avoir atteint, par l'analyse, tous les éléments, jusqu'au dernier […] Mais si nous nous trouvons en face d'une idée, dont le propre justement serait d'être inépuisable, d'être, comme dit Descartes « incompréhensible », quand donc en serait achevée l'analyse complète ? Jamais assurément ; et c'est le cas de l'idée de l'infini. Seulement, par une chance qui rappelle celle du doute universel, conduisant d'autant plus droit à la première des certitudes qu'il est plus radical, l'analyse complète de l'idée de l'infini n'est rendue impossible que par la raison même qui la rend inutile : car d'où vient que l'infini est incompréhensible ? Descartes l'a dit trop de fois pour qu'il faille insister, et notamment dans la IIIᵉ Méditation : de ce qu'il est souverainement positif, le positif sans bornes et sans limites, et de ce qu'ainsi l'idée même que j'en ait exclut la possibilité de toute contradiction.


5.1ᵉ question : L'existence d'une chose est-elle contenue dans son idée ?

Dans l'idée ou le concept de chaque chose, l'existence y est contenue, parce que nous ne pouvons rien concevoir si ce n'est sous la raison de l'existence ; mais avec cette différence que, dans le concept d'une chose limitée, l'existence possible ou contingente est seulement contenue, et dans le concept d'un être souverainement parfait, la parfaite et nécessaire y est comprise.
Abrégé géométrique des Réponses aux IIᵉ Objections, AT, IX, 128

En cinquième lieu, je demande qu'ils s'arrêtent longtemps à contempler la nature de l'être souverainement parfait ; et, entre autres choses, qu'ils considèrent que, dans les idées de toutes les autres natures, l'existence possible se trouve bien contenue, mais que, dans l'idée de Dieu, non seulement l'existence possible y est contenue, mais de plus la nécessaire. Car, de cela seul, et sans aucun raisonnement, ils connaîtront que Dieu existe ; et il ne leur sera pas moins clair et évident, sans autre preuve, qu'il leur est manifeste que deux est un nombre pair, et que trois est un nombre impair, et choses semblables. Car il y a des choses qui sont ainsi connues sans preuves par quelques-uns, que d'autres n'entendent que par un long discours et raisonnement.
Abrégé géométrique des Réponses aux IIᵉ Objections, AT, IX, 127


5.2ᵉ question : L'existence d'une chose est-elle contenue dans son essence ?
Quelle distinction y a-t-il entre l'existence et l'essence a) d'une chose et b) de Dieu :
réelle, modale ou bien formelle ou de raison ?

Il ne reste plus que la mineure [de l'argument par l'essence de Dieu : après que nous avons assez soigneusement recherché ce que c'est que Dieu, nous concevons clairement et distinctement qu'il appartient à sa vraie et immuable nature qu'il existe], où je confesse que la difficulté n'est pas petite. Premièrement, *parce que nous sommes tellement accoutumés dans toutes les autres choses de distinguer l'existence de l'essence, que nous ne prenons pas assez garde comment elle appartient à l'essence de Dieu, plutôt qu'à celle des autres choses ; et aussi parce que, ne distinguant pas les choses qui appartiennent à la vraie et immuable essence de quelque chose, de celles qui ne lui sont attribuées que par la fiction de notre entendement, encore que nous apercevions assez clairement que l'existence appartient à l'essence de Dieu, nous ne concluons pas toutefois de là que Dieu existe, parce que nous ne savons si son essence est immuable est vraie, ou si elle a seulement été inventée. Mais, pour ôter la première partie de cette difficulté, il faut faire distinction entre l'existence possible et la nécessaire ; et remarquer que l'existence possible est contenue dans le concept ou l'idée de toutes les choses que nous concevons clairement et distinctement, mais que l'existence nécessaire n'est contenue que dans la seule idée de Dieu. Car je ne doute point que ceux qui considéreront avec attention cette différence qui est entre l'idée de Dieu et toutes les autres idées, n'aperçoivent fort bien, qu'encore que nous ne concevions jamais les autres choses, sinon comme existantes, il ne s'ensuit pas néanmoins de là qu'elles existent, mais seulement qu'elles peuvent exister ; parce que nous ne concevons pas qu'il soit nécessaire que l'existence actuelle soit conjointe avec leurs autres propriétés ; mais que, de ce que nous concevons clairement que l'existence actuelle est nécessairement et toujours conjointe avec les autres attributs de Dieu, il s'ensuit de là que Dieu nécessairement existe.
Iᵉ Réponses aux Objections de Caterus, AT, IX, 92

OBJECTION [de Burman à *] : Mais cette distinction [de l'essence et de l'existence] est-elle légitime ? L'essence est-elle donc avant l'existence ? Et Dieu, en produisant les choses n'a-t-il produit que l'existence ?
RÉPONSE : C'est légitimement que nous séparons ces deux choses en pensée, car nous pouvons concevoir l'essence sans existence actuelle, comme la rose en hiver ; mais elles ne peuvent pas être séparées en réalité, comme on a coutume de les distinguer, parce que l'essence n'a pas été avant l'existence, qui n'est autre que l'essence existante, si bien que l'une n'est pas antérieure à l'autre et qu'elle n'est pas, non plus différente, ni distincte.
Entretien avec Burman, 16 avril 1648

Pour ce qui est de la distinction entre l'essence et l'existence, je ne me souviens pas du lieu où j'en ai parlé ; mais je distingue entre les modes proprement dits, et les attributs sans lesquels les choses dont ils sont les attributs ne peuvent être ; ou entre les modes des choses mêmes et les modes de la pensée. Pardonnez-moi si je change ici de langue pour tâcher de m'exprimer mieux. Ainsi la figure et le mouvement sont des modes proprement dits de la substance corporelle, parce que le même corps peut exister tantôt sous une figure et tantôt sous une autre ; tantôt avec du mouvement, tantôt sans mouvement ; au lieu que ni cette figure ni ce mouvement ne sauraient être sans corps. De même l'amour, la haine, l'affirmation, le doute, etc. sont de véritables modes dans l'âme : mais je ne crois pas que l'existence, la durée, la grandeur, le nombre et tous les universaux soient proprement des modes ; non plus que la justice, la miséricorde, etc., en Dieu ; mais on les appelle d'un nom plus général attributs ou manière de penser : car il y a de la différence entre connaître l'essence d'une chose, sans considérer si elle existe ou non, et connaître cette même chose comme existante ; mais cette même chose ne saurait être hors de notre pensée sans existence, non plus que sans durée ou grandeur, etc. C'est pourquoi je dis que la figure et les autres modes sont proprement distingués modalement de la substance dont ils sont modes, et qu'entre les autres attributs il y a une moindre distinction qui ne saurait être appelée modale qu'en prenant le nom de mode d'une manière générale, comme je l'ai appelée à la fin de ma réponse sur les premières objections, et qui mériterait peut-être mieux le nom de formelle ; mais pour éviter la confusion dans la première partie de ma philosophie, art. 60, où je traite expressement cette question, je l'appelle distinction de raison, c'est-à-dire raisonnée ; et comme je ne connais aucune distinction de raison raisonnante, c'est-à-dire qui n'ait aucun fondement dans les choses, car nous ne saurions rien penser sans fondement, c'est pourquoi je n'ajoute point dans cet article le nom de raisonnée, et la seule chose qui me paraît faire une difficulté sur cette matière est que nous ne distinguons pas assez les choses qui existent hors de notre pensée, des idées des choses, qui sont en notre pensée ; ainsi lorsque je pense à l'essence d'un triangle et à son existence, ces deux pensées, en tant que pensées, même prises objectivement, diffèrent modalement, en prenant le nom de mode d'une manière moins générale ; mais il n'en est pas de même du triangle qui existe hors de la pensée, dans lequel il me paraît clairement que l'essence et l'existence ne sont distinguées en aucune façon ; disons la même chose de tous les universaux ; comme lorsque je dis que Pierre est homme, la pensée par laquelle je pense à Pierre diffère modalement de celle par laquelle je pense à homme ; mais en Pierre, homme et Pierre sont la même chose, etc. Ainsi je n'admets que trois distinctions, la réelle qui est entre deux substances, la modale et la formelle ou de raison raisonnée, qui toutes trois néanmoins, en tant qu'opposées à la distinction de raison raisonnante, peuvent être appelées réelles, et en ce sens on pourra dire que l'essence est réellement distincte de l'existence ; en sorte que lorsque par essence nous entendons une chose en tant qu'elle est objectivement dans l'entendement, et que lorsque par existence nous entendons la même chose en tant qu'elle est hors de l'entendement, il est certain que ces deux chose sont réellement distinctes. Ainsi quasi toutes les controverses de la philosophie ne viennent que de ce qu'on ne s'entend pas bien les uns les autres.
Lettre de Descartes à un Révérend Père Jésuite de 1645-46, AT, IV, 348
Une question sur la nature de l'existence est donc commune à l'argument par l'idée de Dieu et à l'argument par l'essence de Dieu. Mais cette question ne se situe pas, ici et là, à la même place dans l'ordre des raisons : à la cinquième place pour le premier argument, l'argument par l'idée de Dieu, à la première pour le second argument, l'argument par l'essence de Dieu. Corrélativement, puisque la première question, 5.1ᵉ : L'existence d'une chose est-elle contenue dans son idée ?, se distingue de la seconde, 5.2ᵉ : L'existence d'une chose est-elle contenue dans son essence ?, la réponse à la première question se distingue de la réponse à la seconde question. La question de la distinction (réelle, modale ou bien formelle ou de raison ?) de l'essence et de l'existence de l'étant s'inscrit dans une histoire longue de six siècles, de son origine dans la Métaphysique d'Avicenne (980–1037) jusqu'aux Méditations métaphysique (1641) de René Descartes (1596–1650), en passant par le traité De l'être et l'essence (ca. 1252–56) de Thomas d'Aquin (1224–1274), les Théorèmes de l'être et l'essence (ca. 1278–85) de Gilles de Rome (ca. 1245–1316), les disputes de 1276 à 1287 d'Henri de Gand (ca. 1217–1293), de Gilles de Rome et de Godefroid de Fontaines (ca. 1250–1309), le traité De l'être et l'essence (1297) de Dietrich de Freiberg (ca. 1250–1320), les Questions de Jean Duns Scot (ca. 1265–1308), et la XXXIᵉ (L'essence de l'étant fini en tant que tel, son être, et leur distinction réciproque) des Disputes métaphysiques (1597) de Francisco Suárez (1548–1617).


6.1ᵉ question : Quelle différence y a-t-il entre l'idée vraie (idea vera) d'une chose réelle et l'idée factice d'une chose fictive ?

La 6.1ᵉ question s'ensuit logiquement de la réponse à la 5.2ᵉ question.
Chimère logique médiévale, dont la queue de dragon végétale figure la division de la supposition des termes (personnelle, matérielle, etc.). Auteur anonyme, 1980. Source, histoire et analyse logique : Paul Vincent Spade's website

L'idée de Dieu n'est pas aussi une pure production ou fiction de mon esprit ; car il n'est pas en mon pouvoir d'y diminuer ni d'y ajouter aucune chose.
IIIᵉ des Méditations métaphysiques, AT, IX, 41

Car en effet je reconnais en plusieurs façons que cette idée n'est point quelque chose de feint ou d'inventé, dépendant seulement de ma pensée, mais que c'est l'image d'une vraie et immuable nature. Premièrement, à cause que je ne saurais concevoir autre chose que Dieu seul, à l'essence de laquelle l'existence appartienne avec nécessité. Puis aussi, parce qu'il ne m'est pas possible de concevoir deux ou plusieurs Dieux de même façon. […] Et enfin, parce que je connais une infinité d'autres choses en Dieu, desquelles je ne puis rien diminuer ni changer.
Vᵉ des Méditations métaphysiques, AT, IX, 54

OBJECTION [de Burman à un argument de la Vᵉ Méditation] : Mais ainsi la chimère ne sera pas non plus un être fictif, car je puis même à son sujet démontrer des propriétés variées.
RÉPONSE : Tout ce qui peut être conçu clairement et distinctement dans la chimère est un être vrai, et non pas fictif, parce qu'il a une essence vraie et immuable, et cette essence vient aussi bien de Dieu que l'essence actuelle des autres choses. Mais on dit d'un être qu'il est fictif, quand nous supposons qu'il existe. […] Nous pouvons bien, en effet, imaginer très clairement la tête d'un lion jointe à un corps de chèvre, et des choses semblables, il n'en suit pas que cela existe, parce que nous ne percevons pas clairement, pour ainsi dire le nœud qui les unit ;
Entretien avec Burman, 16 avril 1648

Pour ce qui est des difficultés qu'il vous a plu de me proposer, je réponds à la première, qu'ayant dessein de tirer une preuve de l'existence de Dieu de l'idée ou de la pensée que nous avons de lui, j'ai crû être obligé de distinguer, premièrement, toutes nos pensées en certains genres, pour remarquer lesquelles sont celles qui peuvent tromper, et, en montrant que les chimères même n'ont point en elles de fausseté, prévenir l'opinion de ceux qui pourraient rejeter mon raisonnement, sur ce qu'ils mettent l'idée qu'on a de Dieu au nombre des chimères. J'ai dû aussi distinguer entre les idées qui sont nées avec nous, et celles qui viennent d'ailleurs, ou sont faites par nous, pour prévenir l'opinion de ceux qui pourraient dire que l'idée de Dieu est faite par nous, ou acquise par ce que nous en avons ouï dire.
Lettre de Descartes à Clerselier du 23 avril 1649, AT, V, 354


6.2ᵉ question : L'existence est-elle une perfection ?
Et toutefois je ne nie pas que l'existence possible ne soit une perfection dans l'idée du triangle, comme l'existence nécessaire est une perfection dans l'idée de Dieu, car cela la rend plus parfaite que ne sont les idées de ces chimères qu'on suppose ne pas pouvoir exister.
Réponses aux Vᵉ Objections
L'idée du triangle n'est pas seulement un exemple dans la réponse, elle est exemplaire de la figure triangulaire de la réponse. La réponse à la question s'analyse en 2 moments logiques, articulés comme 2 triangles : le triangle PNI des 3 modalités de l'existence et le triangle TDC des 3 idées analysées. Le premier triangle PNI est celui de la distinction de 3 modalités de l'existence : possible (ce qui n'est pas mais peut être), nécessaire (ce qui ne peut pas ne pas être) et impossible (ce qui ne peut pas être). L'analyse comparative des 3 idées : idée du triangle, idée de Dieu, idée de la Chimère, en lesquelles l'analyse retrouve respectivement l'une des 3 modalités de l'existence.
Soit le triangle des idées TDC dont T est l'idée du triangle, D l'idée de Dieu et C l'idée de la Chimère. Soit le triangle de l'existence PNI dont P est l'existence possible, N la nécessaire et I l'impossible :

          D                  N

TC        PI

    Triangle des idées      Triangle des modalités de l'existence

T, l'idée du triangle, est à équidistance de D, l'idée de Dieu, et de C, l'idée de la Chimère, comme P, le possible (ce qui n'est pas mais peut être) est à équidistance de N, le nécessaire (ce qui ne peut pas ne pas être) et de I, l'impossible (ce qui ne peut pas être).

La question de la nature de l'existence doit aussi être pensée selon la triade logique cartésienne (1.2ᵉ question : Pourquoi passer de la triade logique terme, proposition, argumentation à la triade logique raisonnement, jugement, idée est-il nécessaire ?), dans laquelle apparaît deux fois l'existence, comme mon existence et en lien au jugement d'une part, comme existence de Dieu et en lien à l'idée d'autre part :

Triade logique cartésienne, selon l'ordre analytique des Iᵉ, IIᵉ et IIIᵉ Méditations
1ᵉ
raisonnement
analyse
supposition
doute
(négation maximale)




2ᵉ
jugement
ordre
équation
je suis, j'existe
(minimum absolu)




3ᵉ
idée
énumération
mesure
infini
(maximum absolu)








Quelle liaison y a-t-il entre existence et jugement ? Pourquoi l'existence est-elle d'abord pensée en un jugement ? Qu'est-ce que le jugement « je suis, j'existe » signifie quant à la façon dont Descartes pense la nature de l'existence ? Comment Descartes pense-t-il le jugement ?…
Comprendre la question et la réponse cartésiennes implique avant tout de ne pas la traduire dans le vocabulaire logique médiéval de la proposition, du sujet et du prédicat qui n'est déjà plus le sien. Descartes anticipe et répond par avance à la question de Kant demandant L'existence est-elle un prédicat réel ?, en ce que « je suis, j'existe » n'est pas une proposition, composée, d'un sujet et d'un prédicat, mais un jugement.
Suite de la réponse à venir.


7.1ᵉ question : Pourquoi argumenter et par l'idée et par l'essence de Dieu est-il nécessaire ?


7.2ᵉ question : Pourquoi penser de manière analytique est-il nécessaire ?

Pourquoi penser de manière analytique ? Pourquoi penser de manière analytique est-il nécessaire ? Quelle liaison y a-t-il entre l'analyse et le doute ? Le véritable doute, le questionnement philosophique en tant que véritable mise en doute, volontaire, est précisément la position logique, paradoxale, en laquelle il n'est plus possible que le raisonnement soit déduction (du connu à l'inconnu), la position en laquelle il est nécessaire que la pensée devienne et demeure purement analyse, c'est-à-dire d'abord analyse de la pensée par la pensée, analyse de soi par soi-même.
La liaison de l'analyse au doute est elle-même nécessaire. La nécessité de l'analyse est impliquée par la nécessité du doute.


8ᵉ question : Quel est l'ordre des raisons ? Qu'est-ce que l'analyse rationnelle ?
Quel est l'ordre logique en et par lequel questions & réponses s'ensuivent logiquement les unes des autres ?
Qu'est-ce que l'analyse de l'ordre des raisons, par la raison, selon l'ordre des raisons ?
Dans la façon d'écrire des géomètres, je distingue deux choses, à savoir l'ordre, et la manière de démontrer. L'ordre consiste en cela seulement, que les choses qui sont proposées les premières doivent être connues sans l'aide des suivantes, et que les suivantes doivent après être disposées de telle façon, qu'elles soient démontrées par les seules choses qui les précèdent. Et certainement j'ai tâché, autant que j'ai pu, de suivre cet ordre en mes Méditations. […] La manière de démontrer est double : l'une se fait par l'analyse ou résolution, et l'autre par la synthèse ou composition. L'analyse montre la vraie voie par laquelle une chose a été méthodiquement et comme a priori inventée, et fait voir comment les effets dépendent des causes ; en sorte que, si le lecteur la veut suivre, et jeter les yeux soigneusement sur tout ce qu'elle contient, il n'entendra pas moins parfaitement la chose ainsi démontrée, et ne la rendra pas moins sienne, que si lui-même l'avait inventée. […] Pour moi, j'ai suivi seulement la voie analytique dans mes Méditations, parce qu'elle me semble être la plus vraie, et la plus propre pour enseigner ;
Réponses aux IIᵉ Objections, AT, IX, 121-22

Et il est à remarquer, en tout ce que j'écris, que je ne suis pas l'ordre des matières, mais seulement celui des raisons : c'est-à-dire que je n'entreprends point de dire en un même lieu tout ce qui appartient à une matière, à cause qu'il me serait impossible de le bien prouver, y ayant des raisons qui doivent être tirées de bien plus loin les unes que les autres ; mais en raisonnant par ordre a facilioribus ad difficiliaro, j'en déduis ce que je puis, tantôt pour une matière, tantôt pour une autre ; ce qui est, à mon avis, le vrai chemin pour bien trouver & expliquer la vérité.
Lettre de Descartes à Mersenne du 24 décembre 1640, AT, III, 266
De l'analyse de l'ordre des raisons s'ensuivent un certain nombre de conséquences :
  1. La vérité s'analyse doublement en l'ordre de l'invention ou de la découverte logique de la vérité et en l'ordre de la compréhension ou de l'explication logique de la vérité.
  2. La vérité ne peut pas seulement être au terme du raisonnement (lui-même logiquement analysé en sa double réalité de mouvement de pensée logique et d'objet logique de pensée), abstraitement isolé ou séparé de l'ordre total des raisons en lequel il est pensé et auquel il appartient objectivement. La vérité est celle de la totalité de l'analyse elle-même, ordonnée de/à l'ordre des raisons. Qu'il s'agisse de l'analyse ordonnée de/à l'ordre de chaque raisonnement ou de l'analyse de la totalité des raisonnements formant l'ordre des raisons.
  3. Il s'ensuit donc que, et c'est la raison pourquoi, l'ordre chronologique et l'ordre logique des raisons correspondent nécessairement l'un avec et à l'autre et s'identifient dans et à l'ordre des raisons.
  4. Il s'ensuit donc que, et c'est la raison pourquoi, l'ordre analytique et l'analyse de l'ordre est, à la fois, le plus vrai et le plus propre à enseigner vraiment. L'ordre de l'invention ou de la découverte logique de la vérité et l'ordre de la compréhension ou de l'explication logique de la vérité correspondent nécessairement l'un avec et à l'autre et s'identifient dans et à l'ordre des raisons.
  5. Le nombre ordinal (la position et le rang) d'une conséquence dans l'ordre logique correspond au nombre cardinal minimum d'antécédents strictement nécessaires à sa démonstration.
  6. D'une conséquence s'ensuivent toujours plusieurs dans l'ordre des raisons.
Les choses peuvent être rangées en différentes séries, non sans doute en tant qu'elles sont rapportées à quelque genre d'être, ainsi que les philosophes les ont divisées suivant des catégories, mais en tant que la connaissance des unes peut découler de la connaissance des autres, en sorte que, chaque fois que quelque difficulté se présente, nous puissions voir aussitôt s'il ne sera pas utile d'examiner certaines choses auparavant, et lesquelles, et dans quel ordre. Mais pour qu'on y puisse réussir, il faut noter premièrement que toutes les choses, dans la mesure où elles peuvent être utiles à notre projet, quand nous ne considérons pas leurs natures isolément, mais que nous les comparons entre elles afin que la connaissance des unes découle de celles des autres, peuvent être dites absolues ou relatives. J'appelle absolu tout ce qui contient en soi la nature pure et simple dont il est question : ainsi tout ce qui est considéré comme indépendant, cause, simple, universel, un, égal, semblable, droit, ou d'autres choses de ce genre ; et je l'appelle le plus simple et le plus facile, afin que nous nous en servions pour résoudre les questions. Le relatif, au contraire, est ce qui participe à cette même nature, ou du moins à quelque chose d'elle, par où il peut être rattaché à l'absolu et en être déduit suivant un certain ordre ; mais qui, en outre, renferme dans son concept d'autres choses que j'appelle relations : tel est tout ce qu'on appelle dépendant, effet, composé, particulier, multiple, inégal, dissemblable, oblique, etc. Ces choses relatives s'éloignent d'autant plus des absolues, qu'elles contiennent plus de relations de cette sorte subordonnées les unes aux autres ; et c'est la nécessité de les distinguer que nous enseigne cette règle, ainsi que l'obligation d'observer leurs connexions réciproques et leur ordre naturel, de telle façon que, partant de la dernière, nous puissions parvenir à ce qui est le plus absolu en passant par toutes les autres. Le secret de toute la méthode consiste à regarder avec soin en toutes choses ce qu'il y a de plus absolu. Certaines choses en effet, à un certain point de vue, sont plus absolues que d'autres, mais, considérées autrement, elles sont plus relatives : ainsi l'universel est certes plus absolu que le particulier, parce qu'il a une nature plus simple, mais on peut le dire aussi plus relatif, parce que pour exister il dépend des individus, etc. De même certaines choses sont parfois réellement plus absolues que d'autres, mais jamais cependant les plus absolues de toutes : ainsi, si nous considérons les individus, l'espèce est quelque chose d'absolu, et si nous considérons le genre, elle est quelque chose de relatif ; […] Mais, pour arriver à la seconde partie, et pour distinguer soigneusement les notions des choses simples de celles qui en sont composées […] il nous faut admettre ici, comme plus haut, certaines choses […]. Nous disons quatrièmement que la liaison de ces choses simples entre elles est ou nécessaire ou contingente. Elle est nécessaire, quand une chose est impliquée confusément dans le concept d'une autre, de telle sorte que nous ne pouvons concevoir l'une des deux distinctement, si nous jugeons qu'elles sont séparées l'une de l'autre. […] Elle est contingente, au contraire, quand c'est la liaison de choses qui ne sont pas unies par un rapport indissoluble […]. Il y a bien souvent aussi des choses qui sont unies entre elles d'une façon nécessaire, et que la plupart des hommes comptent parmi les choses contingentes, parce qu'ils n'en remarquent pas le rapport, comme cette proposition : je suis, donc Dieu existe ;
VIᵉ des Règles utiles et claires pour la direction de l'esprit en la recherche de la vérité


9ᵉ question : Pourquoi passer de la triade logique terme, proposition, argumentation
à la triade logique raisonnement, jugement, idée est-il nécessaire ?

La question de la nature de l'idée en implique une autre : Pourquoi Descartes passe-t-il de la triade logique médiévale du terme, de la proposition, et de l'argumentation (et de ce qui leurs correspond respectivement) à la triade logique du raisonnement, du jugement, et de l'idée (et de ce qui leurs correspond respectivement) ? Quelle est la raison et le sens de ce changement ? Et d'abord, que signifie le passage du terme à l'idée ?

Triade logique médiévale (analyse en cours)
1ᵉ
terme
définition
catégories
transcendantaux




2ᵉ
proposition
division
prédicables
?




3ᵉ
argumentation
syllogisme
topiques
?









Triade logique cartésienne, selon l'ordre analytique des Iᵉ, IIᵉ et IIIᵉ Méditations
1ᵉ
raisonnement
analyse
supposition
doute
(négation maximale)




2ᵉ
jugement
ordre
équation
je suis, j'existe
(minimum absolu)




3ᵉ
idée
énumération
mesure
infini
(maximum absolu)









La logique de Descartes n'a jamais été une « absence » à combler, un traité de logique non écrit, contrairement au contresens des « cartésiens », contresens tenant à l'habitude de penser la logique (sa nature, son ordre et sa place) selon l'ancienne triade logique médiévale. La logique de Descartes a toujours été présente, à sa place et dans l'ordre, au cœur des Méditations.
Ce contresens entraîne au moins deux conséquences historiques :
1ᵉ : La création d'une tradition logique dite et perçue comme « cartésienne », faite d'un mélange composite de logique médiévale et d'éléments originaux de la logique de Descartes ;
2ᵉ : La confusion de la logique de Descartes elle-même avec une logique composite, « ni faite ni à faire », logique composite soi-disant « cartésienne » réinscrivant en fait la nouvelle triade logique de Descartes, triade analytique du raisonnement, du jugement et de l'idée, dans l'ancien ordre, synthétique, de la triade logique médiévale du terme, de la proposition et de l'argumentation et y « ajoutant » une 4ᵉ partie sur « la méthode ».

Le contresens envers la logique de Descartes tient, aussi, à la façon dont Descartes repense la distinction et l'ordre des quatre disciplines philosophiques – logique, physique, métaphysique, éthique –, en particulier de la métaphysique et de la logique. L'embarras envers la logique de Descartes – Où est la logique ? Où est passée la logique ? Et pourquoi ? – est un embarras envers l'embarrassante question du lien entre métaphysique et logique et l'« embarrassante » réponse que Descartes y apporte, dans et par les Méditations.

Conformément à l'analyse de la double réalité de l'idée, chaque élément de la triade logique cartésienne doit s'entendre doublement, en tant qu'opération ou performance de pensée (réalité matérielle ou formelle) – exemplairement pour le « je suis, j'existe », cf. Jaakko Hintikka, Cogito, ergo sum: Inference or Performance? – et en tant qu'objet de pensée (réalité objective), autrement dit en tant que pensée pensante et pensée pensée.
Le doute est l'analyse maximale, qui se résout (première réduction à l'impossible) en le minimum absolu, « je suis, j’existe » (non nihil, aliquid ou res et ens), qui se résout (seconde réduction à l'impossible) en le maximum absolu, l'infini (summum ens, unum, verum, bonum, res, aliquid).

Un passage de La Vie de Monsieur Descartes d'Adrien Baillet présente un aperçu de la controverse sur la Logique de Descartes en 1691 :

Plusieurs ont considéré ce Discours de la méthode de M. Descartes comme la logique de sa philosophie ; et il est difficile de n'être pas de leur sentiment, lorsqu'on considère que la fin de sa Méthode n'est autre que de former le jugement, et de prescrire des règles à l'esprit pour se conduire. Quelques-uns [Daniel Lipstorp, Specimina philosophiae cartesianae, publiés à Leyde en 1653] ont prétendu que la véritable logique de M. Descartes n'était autre que sa Géométrie, parce qu'ils l'ont regardée comme la clef de tous les arts libéraux, et de toutes les sciences. […]
D'autres ont estimé que la vraie logique de M. Descartes est proprement le traité qu'il donna trois ans après sous le titre de Méditations métaphysiques, parce que c'est là principalement, où après avoir proposé le débrouillement de tout préjugé et de toute connaissance acquise par l'éducation, la coutume, et l'autorité, il établit la pensée pour le grand principe sur lequel il voulait bâtir toute sa philosophie. M. Gassendi qui est l'un des principaux auteurs de cette opinion s'est donné la peine de réduire cet ouvrage à ses principaux points, et d'en faire un abrégé, qu'il a intitulé Logica Cartesii.
Nous connaissons d'autres auteurs qui ont parlé de la logique de M. Descartes, comme d'un ouvrage qui n'a point encore vu le jour. Le P. Rapin qui est de ce nombre, avait ouï dire que M. Descartes avait commencé une logique, mais qu'il ne l'avait pas achevée ; et qu'il en était resté quelques fragments entre les mains d'un de ses disciples […]. Mais après une recherche exacte qui s'est faite de cette logique prétendue parmi ses papiers, il ne s'est rien trouvé […] qui puisse passer pour logique, si l'on excepte ses Règles pour la direction de l'Esprit dans la recherche de la Vérité [qui ne sont publiées qu'en 1684 en néerlandais et en 1701 en latin], qui peuvent servir de modèle pour une excellente logique, et qui font sans doute une portion considérable de sa Méthode, dont ce que nous avons d'imprimé à la tête de ses Essais ne fait qu'une petite partie.
Mais tant que l'ouvrage concernant la direction de l'esprit de l'homme dans la recherche de la vérité demeurera enseveli dans les ténèbres [Les Règles ne seront publiées qu'en 1684 en néerlandais et en 1701 en latin], il nous sera permis de regarder le discours qu'il a publié dans sa Méthode comme sa vraie Logique. Il faut avouer que ce n'est qu'une ébauche d'une juste dialectique, dont il s'est contenté de donner quelques traits. […] Mais ce que M. Descartes s'était contenté d'ébaucher a été depuis porté à sa perfection par ses disciples ; et après ce que Clauberg professeur à Duysbourg en Allemagne [Johannes Clauberg, Defensio cartesiana (1652), Logica Vetus et Nova (1654–58), Initiatio Philosophi (1655). Lire Massimiliano Savini, Johannes Clauberg. Methodus cartesiana et ontologie], et principalement l'auteur de l'Art de penser en France [Antoine Arnauld et Pierre Nicole, la Logique de Port-Royal ou L'Art de penser (1662)] ont publié sur ce sujet, il n'est plus permis de se plaindre que la philosophie de M. Descartes soit destituée d'une logique régulière et méthodique.
Adrien Baillet, La Vie de Monsieur Descartes, livre IV, ch. II, p. 324-326

et je me suis servi de ce mot [idée], parce qu'il était déjà communément reçu par les philosophes pour signifier les formes des conceptions de l'entendement divin […] ; et je n'en savais point de plus propre.
IIIᵉ Objections et Réponses, AT, IX, 141


10ᵉ question : Pourquoi l'argument par l'idée de l'infini est-il baroque ?

« Baroque » : Étymologie et histoire. II. Substantif. I 2 est issu de I 1 probablement croisé pour le sens avec le latin médiéval baroco, créé au XIIIᵉ siècle pour désigner une forme de syllogisme (v. 1210–20. Pierre d'Espagne) et qui, employé ensuite par moquerie par les adversaires de la scolastique (voir Montaigne, Essais, livre I, chapitre 26 : C'est Barroco et Baralipton qui rendent leurs supposts [de la sagesse] ainsi crotez et enfumez) contribua à donner à baroque le sens de « bizarre, inutilement compliqué ».
Source : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales

Rosace médiévale des 19 modes et des 3 figures médiévaux des syllogismes figurant dans un manuscrit latin du XVᵉ siècle des Petites Sommes de logique (c. 1230–45) de Pierre d’Espagne. Source : BnF, mss latin 14716, f.63. Reproduction : Mathieu Sourdeix.

Analyse logique du syllogisme Baroco
Baroco est le nom logique médiéval du 4ᵉ mode de la 2ᵉ figure du syllogisme. Le nom Baroco est intégralement logique : la première de ses trois syllabes correspond à la majeure du syllogisme éponyme, la seconde à la mineure et la troisième à la conclusion, les voyelles, a et o, qui le composent signifient les deux genres logique de proposition correspondantes dont le syllogisme est composé, et les consonnes, b, r et c, qui le composent signifient respectivement son appartenance à la seconde figure (b) du syllogisme et la 1ᵉ lettre (b) du nom du 1ᵉ premier mode (Barbara) de la 1ᵉ figure auquel il se réduit, ainsi que son mode de réduction logique (r), par réduction à l'impossible (c), c'est-à-dire au contradictoire.
Baroco est le syllogisme formé d'une majeure du genre a, c'est-à-dire d'une proposition universelle affirmative (a : Tout S est P), d'une mineure du genre o, c'est-à-dire d'une proposition particulière négative (o : Quelque S n'est pas P) et d'une conséquence du genre o, c'est-à-dire d'une proposition particulière négative (o : Quelque S n'est pas P).
Dans le carré logique figurant les quatre espèces d'opposition logique des quatre genres de proposition, a, e, i, o, les propositions du genre a et o s'opposent comme des propositions contradictoires, c'est-à-dire des propositions opposées à la fois selon la quantité (universelle versus particulière) du sujet et selon la qualité (affirmative versus négative) de la copule.

Tout S est P                                   Aucun S n'est P
A              c o n t r a i r e s             E
c                                       c
o                                  o
s        n                            n        s
u          t                       t           u
b             r                  r             b
a               a             a                a
l                  d       d                   l
t                     i i                      t
e                    c   c                     e
r                  t       t                   r
n                o            o                n
e             i                 i              e
s          r                       r           s
e                            e 
s                                 s  

I          s u b c o n t r a i r e s          O
   Quelque S est P                              Quelque S n'est pas P

Carré logique des quatre espèces (subalternation, subcontrariété, contrariété, contradiction) de l'opposition logique
des quatre genres (universelle affirmative, universelle négative, particulière affirmative, particulière négative) de proposition.



Soit le majeur (M), le moyen terme (mt), et le mineur (m), Baroco est :
BA– : Tout M est mt.
RO– : Quelque m n'est pas mt.
CO : Quelque m n'est pas M.

Les différentes figures du syllogisme correspondent à la fois (1ᵉ) aux différentes compositions du moyen terme avec les deux extrêmes, et (2ᵉ) aux différentes voies logiques ou argumentatives concluant à la vérité ou bien à la fausseté d'une proposition. Quel est donc le sens logique de la 2ᵉ figure du syllogisme, dont Baroco est le 4ᵉ mode ?
La 2ᵉ figure du syllogisme comprend nécessairement 4 modes, 2 modes généraux et 2 modes particuliers : Cesare, Camestres, Festino, Baroco.

Analyse logique en cours.


La réduction logique du syllogisme Baroco à Barbara, 1ᵉ mode parfait de la 1ᵉ figure du syllogisme, s'effectue par réduction à l'impossible. La réduction à l'absurde ou à l'impossible consiste à prendre pour prémisse la prémisse A et la contradictoire de la conséquence, et à en déduire la contradictoire de l'autre prémisse :

BA– : Tout P est M.
RO– : Quelque S n'est pas M.
CO : Quelque S n'est pas P.

BAR– Prémisse majeure A : Tout P est M.
BA– Contradictoire de la conséquence : Tout S est P.
RA Contradictoire de la prémisse mineure : Tout S est M.

Soit un syllogisme Barbara, où P est le moyen terme.


L'argument par l'idée de l'infini de la IIIᵉ Méditation est-il baroque ?

BA– : (M) La quantité de réalité de la cause est (mt) ≥ à la quantité de réalité de son effet.
Appliquée à l'idée : (M) La quantité de réalité formelle de la cause de l'idée est (mt) ≥ à la quantité de réalité objective de l'idée.
RO– : (m) La quantité, infinie, de réalité formelle de la cause de l'idée de l'infini ≥ à la quantité, infinie, de réalité objective de l'idée de l'infini n'est pas (mt) moi ou en moi, fini.
CO : (m) La cause, dont la quantité de réalité formelle est infinie, de la réalité objective de l'idée de l'infini n'est pas (M) moi ou en moi.

L'analyse logique de l'argument cartésien selon la logique médiévale du syllogisme montre mieux, à nouveau, deux choses :
1ᵉ : La mesure de la richesse et de la beauté de la logique médiévale du syllogisme, et la mesure du geste cartésien passant de l'ancienne logique médiévale du syllogisme à la nouvelle logique cartésienne de l'analyse.
2ᵉ : La présence de l'ancienne logique médiévale du syllogisme dans la nouvelle logique cartésienne de l'analyse, malgré la double critique cartésienne des limites de la logique du syllogisme. Ce qui soulève une question : Pourquoi l'argument cartésien a-t-il quelque chose de baroco ?

Réponse en cours.



Choix de lectures philosophiques
Amos Bertolacci, The Distinction of Essence and Existence in Avicenna's Metaphysics: The Text and its Context
Fedor Benevich, The Essence-Existence Distinction: Four Elements of the Post-Avicennian Metaphysical Dispute (11–13th Centuries)
Thomas d'Aquin, Dietrich de Freiberg, L'être et l'essence. Le vocabulaire médiéval de l'ontologie
Gilles de Rome, Théorèmes sur l'être et l'essence
Henri de Gand, Gilles de Rome, Godefroid de Fontaines, Être, essence et contingence
Jean Paulus, Les disputes d'Henri de Gand et de Gilles de Rome sur la distinction de l'essence et de l'existence
Henry of Ghent, Summa quaestionum ordinarium: Questions on God’s Existence and Essence (Articles 21–24)
Jean Duns Scot, Sur la connaissance de Dieu et l'univocité de l'étant
Id., Questions sur la Métaphysique
Francisco Suárez, Disputes métaphysiques, en particulier les Disputes I (Nature de la philosophie première ou métaphysique), II (La raison essentielle ou le concept de l'étant), III (Des propriétés et des principes de l'étant en général), XXVIII (La première division de l'étant en étant absolument infini et fini), XXIX (De Dieu, en tant que l'on peut connaître son existence même par la raison naturelle), XXXI (La distinction de l'étant fini et de son être) et LIV (Les êtres de raison)
René Descartes, Règles utiles et claires pour la direction de l'esprit en la recherche de la vérité
Id., Méditations métaphysiques, Objections et Réponses
Arthur Hannequin, La preuve ontologique cartésienne défendue contre la critique de Leibniz
Alexandre Koyré, Essai sur l'idée de Dieu et les preuves de son existence chez Descartes
Martial Gueroult, Descartes selon l'ordre des raisons. Tome I : L'âme et Dieu. Tome II : L'âme et le corps
Id., Nouvelles réflexions sur la preuve ontologique de Descartes
Étienne Gilson, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans le système cartésien
Jean-Luc Marion, Sur l'ontologie grise de Descartes : Science cartésienne et savoir aristotélicien dans les Regulæ
Stephen Gaukroger, Cartesian Logic: An Essay on Descartes's Conception of Inference
Emanuela Scribano, L’existence de Dieu : Histoire de la preuve ontologique de Descartes à Kant
Blake D. Dutton, The Ontological Argument: Aquinas's Objection and Descartes' Reply
Id., Suarezian Foundations of Descartes' Ontological Argument
Jean-François Courtine, La doctrine cartésienne de l'idée et ses sources scolastiques
Jean-Christophe Bardout, Représentation et existence, éléments d'un débat entre Descartes et les scolastiques
André Robinet, Aux sources de l'esprit cartésien : L'axe La Ramée–Descartes. De la Dialectique de 1555 aux Regulæ
Id., Descartes. La lumière naturelle : intuition, disposition, complexion
Laurence Devillairs, Descartes et la connaissance de Dieu
Thibaut Gress, Descartes et la précarité du monde : Essai sur les ontologies cartésiennes
Id., Les rêveries métaphysiques de Descartes, sur France Culture
Roger Ariew, Descartes among the Scholastics
Id., Descartes and the First Cartesians
Igor Agostini, Ne quidem ratione. Infinità ed unità di Dio in Descartes
Id., L'Infinità di Dio. Il dibattito da Suárez a Caterus (1597–1641)
Id., L'idea di Dio in Descartes. Dalle Meditationes alle Responsiones
Id., L'idée de Dieu des Meditationes aux Responsiones
Massimiliano Savini, Johannes Clauberg. Methodus cartesiana et ontologie
Olivier Dubouclez, Descartes et la voie de l'analyse
Steven Nadler, Le philosophe, le prêtre et le peintre : Portrait de Descartes au Siècle d'or
Dan Arbib, Le Dieu cartésien : quinze années d'études (1996–2011)
Id., Descartes, la métaphysique et l'infini
Dan Arbib, Jean-Robert Armogathe, Vincent Carraud, Jean-Luc Marion, Gilles Olivo, Olivier Dubouclez, Denis Kambouchner, Igor Agostini, Frédéric de Buzon, Martine Pécharman, Jean-Christophe Bardout, Delphine Bellis, Jean-Pascal Anfray, Xavier Kieft, Édouard Mehl, Sophie Roux, Les Méditations métaphysiques, Objections et Réponses de Descartes : Un Commentaire
Le Bulletin cartésien publié chaque année par le Centre d'Étude Cartésiennes de l'Université Paris Sorbonne et par le Centro di Studi su Descartes e il Seicento Ettore Lojacono dell’Università di Lecce se fait l'écho de la recherche internationale sur le cartésianisme.