Les autres philosophes | Philosophie pour enfants ou adultes: Les deux sens de la vie

Les deux sens de la vie

L'ironie

Le secret de toute la méthode consiste à regarder avec soin en toutes choses ce qu'il y a de plus absolu.

René Descartes, VIᵉ des Règles utiles et claires pour la direction de l'esprit en la recherche de la vérité
Si l’on compare entre elles les définitions de la métaphysique et les conceptions de l’absolu, on s’aperçoit que les philosophes s’accordent, en dépit de leur divergences apparentes, à distinguer deux manières profondément différentes de connaître une chose. La première implique qu’on tourne autour de cette chose ; la seconde, qu’on entre en elle. La première dépend du point de vue où l’on se place et des symboles par lesquels on s’exprime. La seconde ne se prend d’aucun point de vue et ne s’appuie sur aucun symbole. De la première connaissance on dira qu’elle s’arrête au relatif ; de la seconde, là où elle est possible, qu’elle atteint l’absolu.
[…]
Il suit de là qu’un absolu ne saurait être donné que dans une intuition, tandis que tout le reste relève de l’analyse. Nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquence d’inexprimable. Au contraire, l’analyse est l’opération qui ramène l’objet à des éléments déjà connus, c’est-à-dire communs à cet objet et à d’autres.

Henri Bergson, Introduction à la métaphysique
Les forces qui travaillent en toutes choses, nous les sentons en nous ; quelle que soit l'essence intime de ce qui est et de ce qui se fait, nous en sommes. Descendons alors à l'intérieur de nous-mêmes : plus profond sera le point que nous aurons touché, plus forte sera la poussée qui nous renverra à la surface. L'intuition philosophique est ce contact, la philosophie est cet élan.

Henri Bergson, L'intuition philosophique
On dit parfois, avec irritation ou avec un brin de satisfaction, que la philosophie ne fait aucun progrès. C'est certainement vrai, mais je pense que le fait que la philosophie doit toujours, en un sens, s'efforcer de reprendre les choses à la base n'est pas un accident regrettable, mais un trait qui appartient à la structure de la discipline. Or l'entreprise n'est pas des plus faciles. Il y a en philosophie un double mouvement : l'un qui progresse vers la construction de théories élaborées, et un autre qui revient sans cesse à la considération de faits simples et évidents. Par exemple, McTaggart déclare que le temps n'existe pas, et Moore lui répond qu'il vient de prendre son petit-déjeuner. Philosopher requiert l'un et l'autre mouvement.

Iris Murdoch, La souveraineté du Bien,
L'idée de perfection
, p. 15
Le philosophe se retourne […] Il est bien évident que chacun a dû se retourner d'une façon qui lui a été propre. Mais il me paraît clair, aussi, que tous ces retours partent de l'objet pour s'élever à la condition a priori de l'objet, cette condition étant pour Platon les Idées, pour Descartes le « Je pense » et Dieu, et pour Kant les catégories.

Après avoir eu une histoire, après avoir opéré un certain retour, le philosophe élève son histoire à l'essence. Je suis même d'avis que toute vraie philosophie est une histoire élevée à l'essence : c'est pour cela qu'elle est à la fois personnelle et universelle. […] Philosopher, c'est élever à l'essence sa propre histoire, étant bien entendu que « sa propre histoire » signifie ici l'histoire de son esprit.

Certes, la méthode de ces philosophes diffère, mais le mouvement par lequel ils vont vers leur but est semblable, car, précisément, et c'est surtout cela que j'ai voulu établir, les philosophes ne vont vers aucun monde. L'autre vers lequel ils vont n'est pas un monde. Et je crois que toutes les erreurs que nous avons passées en revue se résument à celle-ci : on attend toujours qu’après nous avoir délivrés d’un monde, les philosophes nous en donnent un autre. En cela, nous sommes encore victimes du prestige de l’objet et de l’erreur du système. Les philosophes, en montrant que le monde ne contient pas ses propres conditions, vont vers un être qui n’est pas un monde.

[…] Pour conclure, je dirai que, ce qui nous empêche de comprendre les philosophes, c'est l'ignorance où nous sommes souvent de ce qu'est la philosophie. Mais j'ajouterai que, pour comprendre la philosophie, il faut comprendre les philosophes. La philosophie n'est pas la science, elle n'est pas un système, où un ensemble de systèmes, elle est une démarche, et une démarche n’a de sens que parce qu’une personne effectue cette démarche. […] La démarche philosophique, c’est celle de l’esprit lui-même, et c’est pourquoi elle est toujours à refaire : car l’esprit a toujours à se sauver.
[…] On ne peut comprendre un philosophe sans devenir soi-même un philosophe, sans se faire, à travers l’histoire et malgré l’histoire, le semblable des philosophes, sans retrouver cette éternité qui est celle de la Philosophie.

Ferdinand Alquié,
Qu'est-ce que comprendre un philosophe ?

Qui dit « histoire du discours véridique » dit aussi méthode récurrente. […] Au sens où les transformations successives de ce discours véridique produisent sans cesse les refontes de leur propre histoire ; ce qui était longtemps resté impasse devient un jour issue ; un essai latéral devient un problème central autour duquel tous les autres se mettent à graviter ; une démarche légèrement divergente devient une rupture fondamentale […] En somme l'histoire des discontinuités n'est pas acquise une fois pour toutes, elle est « impermanente » par elle-même, elle est discontinue ; elle doit sans cesse être reprise à nouveaux frais.

Michel Foucault, La vie : l'expérience et la science
Étudier est un exercice de la vertu tout autant que du talent ; il est l'attestation d'une de ces expériences fondamentales par où la vertu est en étroite corrélation avec le monde réel. […]
Dans les disciplines intellectuelles, comme dans l'enchantement procuré par l'art ou par la nature, c'est par notre capacité à nous oublier nous-mêmes, à être réalistes et à percevoir les choses avec justesse que nous faisons la découverte de la valeur. Notre imagination ne s'y emploie pas à fuir le monde, mais à le retrouver, et c'est ce qui nous exalte, étant donné la distance séparant une appréhension du réel de l'engourdissement de notre conscience quotidienne.

Iris Murdoch, La souveraineté du Bien,
La souveraineté du Bien sur les autres concepts
,
p. 161-2