Les autres philosophes | Philosophie pour enfants ou adultes: Le temps philosophique

Le temps philosophique

Dialogue du concept du temps et du temps logique
À papa et maman, Max et Nadine Sourdeix
1951–2012    1955–2018
Travailler, en l'occurrence travailler à penser le temps, signifie créer quelque chose qui n'est pas, et ne peut être, immédiat, ni immédiatement compris. La hâte, l'impatience, l'empressement, est donc, au contraire, ce contre quoi la pensée s'élabore, ce que penser implique de ralentir. Reprocher à l'élaboration de la pensée de « n'être pas compris dans l'immédiat », c'est lui reprocher d'être ce qu'elle est, et ce qu'elle demande, sa raison d'être : l'élaboration de la pensée, le temps nécessaire et la nécessité du temps.
Le vrai a la nature de se frayer un passage lorsque son temps est venu, et il apparaît seulement lorsque ce temps est venu, raison pour laquelle il n'apparaît jamais trop tôt et ne trouve pas un public non mûr pour lui.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel,
Phénoménologie de l'Esprit, préface
Et s'il y faut des mois ou des années ? On y consacrera le temps qu'il faudra. Et si une vie n'y suffit pas ? Plusieurs vies en viendront à bout ; nul philosophe n'est maintenant obligé de construire toute la philosophie. Voilà le langage que nous tenons au philosophe. Telle est la méthode que nous lui proposons. Elle exige qu'il soit toujours prêt, quel que soit son âge, [Bergson est âgé de 75 ans] à se faire étudiant.

Henri Bergson, La pensée et le mouvant

Argumentaire par questions et réponses
en cours d'invention

1ᵉ question : Que signifie penser le temps du thé ?
Le temps logique du paradoxe logique

Un temps fou
– Prends donc un peu plus de thé, lui dit le Lièvre de Mars le plus sérieusement du monde.
– Je n'ai encore rien pris, répondit Alice d'un ton offensé. Je ne peux donc pas en prendre plus.
– Tu veux dire que tu ne peux pas en prendre moins, fit observer le Chapelier : mais il est très facile de prendre plus que rien.
– Personne ne vous a demandé votre avis, répondit Alice.

Lewis Carroll (1832–1898), Les Aventures d'Alice au pays de l'étonnement (1862–65),
chapitre 7 : Un thé fou. Illustration de Sir John Tenniel (1820–1914)

Analyse logique du sens du paradoxe logique
(en cours)

Pourquoi la question du concept du temps se présente-t-elle à l'heure du thé et comme une histoire de thé ? Posons la question logiquement : Que signifie – le son et le sens – le «thé» (tea) ? Le « thé » signifie le t : le temps préconçu comme unité de mesure mathématique, c'est-à-dire le temps confondu avec l'heure et la date.
Le dialogue philosophique se présente lui-même comme un événement, dans lequel se produisent des événements logiques. Quand un événement de pensée, un événement logique se produit-il lors d'un dialogue philosophique ? Quand se produit le paradoxe logique. Que signifie le paradoxe logique ?

Le sens du paradoxe logique du temps, à l'instar du thé, s'entend en de multiples sens sous-entendus : il signifie d'abord que la logique du sens n'est plus la même, selon que je pense le « plus » quantitativement en fonction de choses ou bien selon que je pense temporellement en fonction d'événements.
Que signifie l'opposition du relatif et de l'absolu ?
Que signifie le paradoxe logique ? Plus d'un sens. Le Lièvre de Mars et le Chapelier signifient et pensent le « plus » relativement à une quantité – nulle – de chose. Une quantité moindre que rien implique donc contradiction.

Le relatif est le « plus ». Relatif à quoi ? L'absolu, au contraire, est la quantité.
Pourquoi le temps est-il confondu avec la quantité ? En raison du double sens du « plus ».

Que signifie la contradiction ?
Quelle est la contradiction logique, sur laquelle se fonde la pensée, le raisonnement du Chapelier fou ? Quelque chose de moins que rien est impossible. La contradiction est celle du quelque chose et du rien, la contradiction de l'être et du néant.

Quelque chose de moins que rien est impossible, qu'est-ce que ça signifie déjà ? Quelque chose est, nécessairement, positif. Le négatif, nécessairement, n'est pas. Nécessairement, le non-être n'est pas, le non-être ne peut pas être (Parménide d'Élée).
Pourtant, nier le non-être, n'est-ce pas, en même temps, une contradiction, puisque cette négation nie l'être de la négation, négation qu'elle est elle-même ? Comment la négation du non-être est-elle donc possible ? Que signifie la négation du non-être ?

En quel sens et en quel temps logique la conséquence logique s'ensuit-elle ? Est-ce «Le non-être n'est pas» qui s'ensuit de « Quelque chose de moins que rien est impossible », « Quelque chose de moins que rien est impossible» qui s'ensuit de «Le non-être n'est pas », ou bien encore est-ce dans les deux sens en même temps ?
Le temps-thé se fonde-t-il sur le principe logique selon lequel le non-être n'est pas ? Le principe logique selon lequel le non-être n'est pas se fonde-t-il sur le temps-thé ? L'implication logique va-t-elle dans les deux sens en même temps ?

Que signifie le paradoxe logique ? Une chose (le temps-thé pensé-pris comme une chose) est ou n'est pas. Du temps-thé il y en a (toujours), donc rien n'empêche le Chapelier fou d'en prendre, le Chapelier fou ne peut (jamais) rien faire d'autre qu'en prendre plus. Plus que rien.
En ce sens, l'impossible signifie ne pas pouvoir ne pas.

Être ou ne pas être, tel semble le principe logique d'une chose ou de ce qui est pensé-pris comme une chose.
Mais le temps est-il une chose ? Et être ou ne pas être est-il le principe logique du temps ? Devenir, n'est-ce pas être et ne pas être ? Devenir, n'est-ce pas « ne pas être ce que ce sera », « être ce que ce ne sera pas », « ne pas être ce que c’était » et « être ce que ce n'était pas » ?

Le paradoxe logique signifie : penser-prendre le temps-thé signifie et implique nécessairement se demander ce que « penser-prendre » le temps-thé signifie : compter (logique du + et du –) ou concevoir (logique du sens et du non-sens) le temps ?

Le non-sens : Que signifie la négation ?
Que signifie le paradoxe logique ? L'ironie du non-sens : l'événement logique paradoxal de ne plus et de ne pas encore comprendre le sens apparemment simple de la négation.
La négation, en ce sens, est simple : ne pas. La négation, en ce sens, est indifférente au temps.

Le non-sens : Que signifie un temps insensé ?
Pourquoi le thé est-il fou ou insensé ? Pourquoi le concept préconçu et confus du temps comme unité mathématique de mesure est-il insensé ou fou ? Qu'est-ce que ça signifie ?
Le temps n'est pas compris, c'est-à-dire le sens du temps n'est pas compris comme ce qu'il est : le sens et sa logique. Le temps n'est pas pensé, conçu, mais seulement mesuré, compté, décompté, une unité de mesure mathématique (la fraction mathématique) qui est en elle-même indifférente au temps et n'est pas de nature temporelle. Le thé est insensé signifie : le concept préconçu et confus du temps est non-sens insensé au sens où il confond le temps avec la négation de son sens et de sa logique.
Le temps, le sens du temps, n'est pas mathématique mais logique.
Que signifie l'opposition du relatif et de l'absolu ?
Que signifie le paradoxe logique ? Plus d'un sens. Alice signifie et pense le «plus» relativement à un événement antérieur – non advenu –, ce qui implique donc contradiction.

Le relatif est le «plus». Relatif à quoi ? L'absolu, au contraire, est le temps.
Pourquoi le temps est-il confondu avec la quantité ? En raison du double sens du «plus».

Que signifie la contradiction ?
Quelle est la contradiction logique, sur laquelle se fonde la pensée, le raisonnement d'Alice ? Un événement suivant sans un événément précédent est impossible. Un événement suivant qui en présuppose un précédent qui n'a jamais eu lieu est impossible. L'ultérieur implique logiquement l'antérieur, l'ultérieur sans l'antérieur est impossible. La contradiction est la contradiction de l'avant et de l'après.

L'événement ultérieur sans l'événement antérieur est impossible, qu'est-ce que ça signifie ?



















Que signifie le paradoxe logique ? Mais voilà qu’Alice signifie et pense que dans le temps et sa logique, non, elle ne peut pas prendre du thé.
En ce sens, l'impossible signifie ne pas pouvoir.

Dans le sens logique où Alice pense le temps, elle ne prend justement pas du temps-thé : impossible d’en «prendre plus». Plus qu'elle ne l'a fait, puisqu'elle ne l'a pas encore fait. Car «plus» présuppose qu'elle en a déjà pris, or elle n'en a pas déjà pris. La logique du temps n’est pas celle de l’être ou du néant. Quelle est-elle ?

Le paradoxe logique signifie : penser-prendre le temps-thé signifie et implique nécessairement se demander ce que «penser-prendre» le temps-thé signifie : compter (logique du + et du –) ou concevoir (logique du sens et du non-sens) le temps ?

Le non-sens : Que signifie la négation ?
Que signifie le paradoxe logique ? L'ironie du non-sens : l'événement logique paradoxal de ne plus et de ne pas encore comprendre le sens apparemment simple de la négation.
La négation, en ce sens, est double : ne pas encore et ne plus. La négation, en ce sens, est inséparable du temps.
Quel est le double sens de la négation ? La négation signifie l'avenir et le passé, prédéterminés comme «n'est pas encore maintenant» et «n'est plus maintenant». Division logique de la négation en deux sens.

Le non-sens : Que signifie un temps fou ?
Pourquoi le thé est-il fou ou insensé ? Pourquoi le concept préconçu et confus du temps comme unité mathématique de mesure est-il insensé ou fou ? Qu'est-ce que ça signifie ?
Le temps n'est pas compris, c'est-à-dire le sens du temps n'est pas compris comme ce qu'il est : le sens et sa logique. Le temps n'est pas pensé, conçu, mais seulement mesuré, compté, décompté, une unité de mesure mathématique (la fraction mathématique) qui est en elle-même indifférente au temps et n'est pas de nature temporelle. Le thé est insensé signifie : le concept préconçu et confus du temps est un non-sens insensé au sens où il confond le temps avec la négation de son sens et de sa logique.
Le temps, le sens du temps, n'est pas mathématique mais logique.

Le paradoxe logique du temps signifie aussi la démonstration que la confusion du concept préconçu du temps engendre un paradoxe logique fondamental, impliquant deux concepts ou deux sens logiques de l’impossible et de la contradiction logique elle-même. Quelle relation logique nécessaire y a-t-il donc entre le concept de temps et les concepts logiques élémentaires ?
Deux concepts logiques de la contradiction ou de l'impossible, qu'est-ce que ça signifie ?
Deux principes logiques, être ou ne pas être ou bien être et ne pas être, qu'est-ce que ça signifie ?
Deux sens logiques de la négation, un sens simple de la négation (ne pas) et un sens double de la négation (ne pas encore et ne plus), qu'est-ce que ça signifie ?

Pourquoi la question de l'idée de temps et la question de la logique se présente-t-elle à l'heure du thé, comme une histoire de thé ? Posons la question logiquement : Le sens du mot thé est-il univoque ou équivoque ? Le sens du thé est équivoque, il est pris – au double sens du terme : bu et conçu par la pensée –, en deux sens : comme une chose, ou comme un temps.
Quelle chose le thé est-il ? Un liquide, mixte, composé de deux éléments : de l'eau, et des feuilles séchées de thé proprement dit. Qu'est-ce que ça signifie ? Que signifie penser le temps-thé comme une chose ? Le concept préconçu du temps, le temps préconçu comme unité de mesure mathématique, le t, est, à l'instar du thé, un mixte confus composé de deux éléments hétérogènes. Vingt-quatre années avant que Bergson ne conçoive le concept de la durée dans l'Essai sur les données immédiates de la conscience de 1889, Lewis Carroll conçoit donc dans Les Aventures d'Alice au pays de l'étonnement de 1862–65 que le concept préconçu du temps est confus, d'une confusion logique.

La question suivante s'ensuit donc logiquement de la réponse à la précédente : Que signifie la confusion du concept confus du temps ? De quoi la confusion du concept préconçu de temps est-elle faite ? En quoi l'analyse logique du concept du temps se résout-elle ?
Ou plutôt, la question du sens de la confusion du concept du temps est double. Car elle impliquera aussi de se demander : Quelle est l'opération par laquelle les deux éléments hétérogènes sont confondus ? S'il est vrai que le concept confus du temps est à l'image du thé, il doit bien, comme le thé, être le résultat produit par une ou plusieurs opérations. Laquelle ou lesquelles ?

Dossier de lectures philosophiques
Lewis Carroll, Œuvres
Peter Heath, The philosopher's Alice
Richard Brian Davis (ed.), Alice in Wonderland and Philosophy: Curiouser and curiouser
Peter Alexander, Logic and the Humour of Lewis Carroll
Gilles Deleuze, Logique du sens
Jan Švankmajer, Quelque chose d'Alice (Něco z Alenky)
Sophie Marret, Lewis Carroll : De l'autre côté de la Logique
Amirouche Moktefi, Le temps (in)divisible ? Lire Lewis Carroll lisant Zénon d'Élée
Pat Andrea, Alice au Pays des Merveilles et De l'autre côté du miroir
Stéphane Michaka, Didier Benetti, soixante-dix musiciens de l'Orchestre National de France et six solistes du chœur de la Maîtrise de Radio France Alice et merveilles, sur france culture. Livre-disque illustré par Clémence Pollet
Kate Bailey (curatrice), Alice: Curiouser and Curiouser, exposition au Victoria and Albert Museum de Londres, à partir du 27 mars 2021



2ᵉ question : Que signifie la confusion du concept préconçu du temps ?
Le temps logique de la différence

L'idée confuse et préconçue du temps « objectif » :

______________________________________________________________
passé                  présent                  avenir


L'analyse logique du concept préconçu du temps comme mixte confus :
la distinction de l'étendu (l'espace) et de l'inétendu (le temps pur)

Que signifie la confusion du concept préconçu du temps ? Quelles confusions l'analyse logique du concept préconçu du temps y distingue-t-elle ?

  • La confusion du temps avec la mesure mathématique du temps (l'heure et la date), avec la ligne, le cercle et le nombre.
    La mesure mathématique du temps est double et se divise logiquement en deux espèces : arithmétique (le nombre et les opérations arithmétiques) et géométrique. La mesure géométrique du temps est elle-même double : la ligne et le cercle. Que signifie la double mesure mathématique du temps ?

  • La confusion de la succession temporelle de l'avant, du pendant, et de l'après avec un déplacement et un remplacement spatial de nombres (de minutes, d'heures, de jours, de mois, d'années, de siècles) alignés sur une ligne ou un cercle, un changement de place dans l'espace, une superposition :
    Une brillante idée vint à l'esprit d'Alice.
    – Est-ce la raison pour laquelle il y a tant de tasses de thé sur la table ? demanda-t-elle.
    – Oui, c'est ça, répondit le Chapelier en soupirant. C'est toujours l'heure du thé, et nous n'avons pas le temps de faire la vaisselle entre temps.
    – Alors vous tournez perpétuellement en rond autour de la table, je suppose ? dit Alice.
    – Exactement, dit le Chapelier ; à mesure que les tasses sont sales.
    – Mais qu'arrive-t-il quand vous revenez aux premières tasses ?
    – Si nous changions de sujet de conversation ? répondit le Lièvre de Mars, en bâillant. Je commence à avoir assez de tout ça. Je vote pour que la jeune fille nous raconte une histoire.

    Lewis Carroll (1832–1898), Les Aventures d'Alice au pays de l'étonnement (1862–65),
    chapitre 7 : Un thé fou. Illustration de Sir John Tenniel (1820–1914)

  • La confusion de l'ordre de la succession temporelle, avant – pendant – après, avec la différence temporelle entre le passé, le présent et l'avenir.
    Que signifient avant et après ? Quand avant et après signifient-ils ?

  • La confusion de la différence temporelle du passé, du présent et de l'avenir avec un intervalle spatial, un espace.

  • La confusion de la conservation temporelle du passé avec l'inclusion spatiale, d'images contenues dans un corps, dans un organe ou bien dans la mémoire préconçue comme une «faculté psychique» de l'esprit.
    Le problème n'est pas d'opposer la conception de la mémoire comme mécanisme cérébral, physique, et la conception de la mémoire comme faculté psychique, mais d'analyser la confusion, préjugé commun aux deux conceptions, entre conservation, temporelle, et inclusion, spatiale. Que signifie cette confusion ?

  • La confusion de la multiplicité qualitative de compénétration dans la durée avec une multiplicité numérique de juxtaposition dans l'espace.

  • Analyser le concept confus du temps signifie analyser le sens de chacune de ces confusions.



    3ᵉ question : Quelle différence y a-t-il entre compter et concevoir le temps ?
    Les deux ratio : Logique et Mathématique
    Le temps logique de la différence entre Qu'est-ce ? et Combien ?
    La science antique portait sur des concepts, tandis que la science moderne cherche des lois, des relations constantes entre des grandeurs variables.
    Henri Bergson (1859–1941), L'Évolution créatrice (1907), p.332-333.
    Cf aussi le Cours au Collège de France 1903–1904 : Histoire des théories de la mémoire, conférence du 29 avril 1904.
    Examinons la confusion du temps avec la mesure mathématique du temps (l'heure et la date), avec la ligne, le cercle et le nombre. La mesure mathématique du temps est double et se divise logiquement en deux espèces : arithmétique (le nombre et les opérations arithmétiques) et géométrique. La mesure géométrique du temps elle-même est double : la ligne et le cercle.

    La mesure arithmétique de l'heure est triple : l'heure (le Chapelier ?), la minute (le Lièvre de Mars ?), la seconde (le Loir ?).
    La mesure arithmétique de la date est triple : le jour (le Chapelier ?), le mois (le Lièvre de Mars ?), l'année (le Loir ?).

    La mesure arithmétique de l'heure et de la date est toujours une fraction : l'heure est une fraction, la 1/24ᵉ partie d'un jour. La demi-heure est une fraction, la 1/2ᵉ partie ou la moitié d'une heure. Le quart d'heure est une fraction, la 1/4ᵉ partie ou le quart d'une heure. La minute est une fraction, la 1/60ᵉ partie d'une heure. La seconde est une fraction, la 1/60ᵉ partie d'une minute. Le jour est une fraction, la 1/30ᵉ, 1/31ᵉ ou 1/28ᵉ partie d'un mois. Le mois est une fraction, la 1/12ᵉ partie d'une année. L'année est une fraction, la 1/100ᵉ partie d'un siècle. Le siècle est une fraction, la 1/10ᵉ partie d'un millénaire.

    La mesure arithmétique du temps est toujours une fraction. Est ? Ou plutôt, la mesure arithmétique du temps-thé est toujours égale à une fraction. Dès qu'elle est pensée comme une fraction, et aussi longtemps qu'elle est seulement pensée ainsi, la mesure arithmétique du temps est seulement calculée, mathématiquement, mais n'est pas encore conçue, logiquement, ce qui diffère autant que la question Combien ? diffère de la question Qu'est-ce ?. La question Qu'est-ce que l'heure ? ou Qu'est-ce que la date ? ne demande pas À combien, à quel nombre de jour, de minutes ou de secondes l'heure est-elle égale ?

    Qu'est-ce que le nombre ?

    Qu'est-ce que le nombre ? Comment le temps est-il compté, décompté, nombré et dénombré en quantités d’intervalles ou d’espaces de temps ? « Comment donc mesurer le temps, si ce n’est par certains espaces ? Ces distinctions des temps simples, doubles, triples ou égaux, qu’est-ce d’autre que des espaces de temps ? Quel espace est donc pour nous la mesure du temps qui passe ? », se demande déjà Augustin d'Hippone.

    Voici en effet ce qu’est le temps : le nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur.
    Aristote (384–322 BC), Physique, livre Δ, ch. 11, 219 b 1

    L’espace est la matière avec laquelle l’esprit construit le nombre, le milieu où l’esprit le place. […] L'idée même du nombre renferme celle d'une juxtaposition dans l'espace.
    Henri Bergson (1859–1941), Essai sur les données immédiates de la conscience, ch. 2



    4ᵉ question : Que signifie la division logique de l'éternel et du temporel ?
    L'être et le temps, l'intelligible et le sensible
    Le Lapin Blanc mit ses lunettes.
    – Plaise à votre Majesté, où dois-je commencer ?, demanda-t-il.
    – Commencez au commencement, dit le Roi d'un ton grave, et continuez jusqu'à ce que vous arriviez à la fin ; ensuite, arrêtez-vous.

    Lewis Carroll (1832–1898),
    Les Aventures d'Alice au pays de l'étonnement (1862–65), chapitre 12 : La déposition d'Alice.
    Or il faut me semble-t-il établir tout d'abord cette division : qu'est-ce qui est toujours, mais n'a pas de devenir ? Et qu'est-ce qui est toujours en devenir, mais n'est jamais ? Ce qui est pensé par la pensée et la raison est toujours le même ; ce qui est objet de l'opinion et de la perception irrationnelle est toujours en devenir et en train de périr et réellement jamais n'est.

    Platon (ca. 427–347 BC), Timée
    L'opposition de l'éternel et du temporel
    Être
    toujours (éternellement)
    le même
    sans jamais
    devenir
    autre
    Devenir
    toujours (temporellement)
    autre
    sans jamais
    être
    le même
    Ce qui est pensé
    par la pensée
    et la raison
    Ce qui est objet
    de l'opinion
    et de la perception irrationnelle

    La philosophie antique opère une division logique et métaphysique à laquelle nous sommes devenus étrangers. Pourquoi et comment ? Que signifie la division logique de l'éternel et du temporel ? Pourquoi le concept du temps est-il, d'abord, conçu d'après le concept d'éternité, par différence d'avec le concept d'éternité, et par opposition à l'éternité – l'idée de l'éternité et l'éternité de l'idée ?

    Quel concept de la pensée implique-t-elle ? Un concept de la pensée qui soit, à la différence d'un préjugé et d'une confusion actuelle, bien moins psychologique que logique ? Quel concept du concept – le concept antique d'idée lui-même – ce concept du temps implique-t-il ? Comment la question du concept de temps implique-t-elle la question de l'idée, la question de la pensée et de la dialectique comme logique de l'idée ?

    Si ce qui est pensé par la pensée est l'éternel, comment la pensée pourra-t-elle penser le temps ? Est-elle prédestinée à ne pas pouvoir penser le temps ou à ne penser le temps que comme négation, non-être ?

    Mais quel est le principe et quelle est la conséquence, et quel est le temps logique du raisonnement ? Est-ce parce que ce qui est pensé par la pensée est, préalablement, déjà pensé comme l'éternel, que le temps est pensé d'après lui comme négation, non-être, ou est-ce inversement parce que le temps est, préalablement, déjà prédéterminé comme négation que ce qui est pensé par la pensée est pensé, d'après lui, comme éternel ? Est-ce parce que la pensée et l'être sont déjà pensés d'après le temps que la pensée se pense comme intelligence de l'idée ?

    à suivre

    Dossier de lectures philosophiques
    Victor Brochard et Lionel Dauriac, Le devenir dans la philosophie de Platon


    5ᵉ question : Qu'est-ce que devenir ?
    Le temps logique de la contradiction
    L'analyse de la conscience du temps est une croix séculaire de la psychologie descriptive et de la théorie de la connaissance. Le premier qui ait profondément ressenti la violence des difficultés qu'elle contient, et qui ait peiné sur elles presque jusqu'au désespoir, fut Saint Augustin. Les chapitres 13–28 du XIᵉ livre des Confessions doivent être aujourd'hui encore étudiés à fond par quiconque s'occupe du problème du temps.

    Edmund Husserl (1859–1938), Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps (1904–1910), Introduction

    Qu'est-ce que devenir ? Devenir, c'est ne pas encore être ce que ce sera, être déjà ou encore ce que ce ne sera pas, n'être déjà plus ce que c'était et être déjà ou encore ce que ce n'était pas. Devenir, c'est n'être pas : n'être pas encore et n'être déjà plus. Le temps est la négation de l'être, au double sens, contradictoire : passage au passé et avènement de l'avenir, disparition et apparition, anéantissement et création.

    La contradiction de l'être et du néant dans le concept du temps est particulièrement explicite dans la façon dont Augustin pose la question de l'être du temps :
    Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m'interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette question, je l’ignore. Je dis néanmoins en toute confiance savoir que, si rien ne passait le temps passé ne serait pas, si rien n’advenait, le temps à venir ne serait pas, et si rien n’était, le temps présent ne serait pas. Ces deux temps par conséquent, le passé et l’avenir, comment sont-ils, alors que le passé n’est plus et que l'avenir n’est pas encore ? Quant au présent, s’il était toujours présent sans fuir dans le passé, il ne serait plus le temps; il serait l’éternité. Donc si le présent, étant du temps, pour cette raison, qu’il passe dans le passé, comment pouvons-nous dire cet être, dont la cause, qu’il soit, est celle-ci, qu’il ne sera pas, de sorte que nous ne disons pas vraiment le temps être, si ce n’est en ce qu’il tend à ne pas être ?

    Et néanmoins nous disons qu'un temps est long et qu'un temps est court, et nous ne le disons que du passé et de l'avenir ; ainsi, par exemple, cent ans passés, cents ans à venir, voilà ce que nous appelons longtemps ; et peu de temps : dix jours écoulés, dix jours à attendre. Mais comment pourrait être long ou court ce qui n'est pas ? Car le passé n'est plus, et l'avenir n'est pas encore. […]

    Augustin d'Hippone (354–430), Confessions, XIᵉ livre, chapitres 14, 15


    5ᵉ question : Demain et hier peut-il arriver aujourd'hui ?

    – …Mais, vraiment, vous devriez prendre une femme de chambre !
    – Je vous prendrai certes à mon service avec plaisir !, déclara la Reine.
    Deux pence la semaine, et panade (jam) tous les deux jours.
    Alice ne pouvait s'empêcher de rire, tandis qu'elle répondit : Je ne veux pas que vous m'engagiez – et je me moque de la panade.
    – C'est de la très bonne panade, dit la Reine.
    – Et bien, je n'en veux pas aujourd'hui, à aucun prix.
    – Vous ne pourriez en avoir, si même vous en vouliez à tout prix, répondit la Reine. La règle est : rasage gratis demain (jam tomorrow) et rasage gratis hier — mais jamais rasage gratis aujourd'hui.
    – Il faut bien qu'il arrive parfois de raser gratis aujourd'hui, objecta Alice.
    – Non, ce n'est pas possible, répondit la Reine. C'est rasage tout autre jour (every other day) : aujourd'hui n'est pas tout autre jour, savez-vous.
    – Je ne vous comprends pas, dit Alice. C'est terriblement déroutant !

    Lewis Carroll (1832–1898), À travers le Miroir, et ce qu'Alice y trouva (1866–71),
    chapitre 5 : Laine et eau. Illustration de Sir John Tenniel (1820–1914)

    à suivre



    6ᵉ question : Quel est le sens de l'être et du néant ?

    – Prends donc un peu plus de thé, lui dit le Lièvre de Mars le plus sérieusement du monde.
    – Je n'ai encore rien pris, répondit Alice d'un ton offensé. Je ne peux donc pas en prendre plus.
    – Tu veux dire que tu ne peux pas en prendre moins, fit observer le Chapelier : mais il est très facile de prendre plus que rien.
    – Personne ne vous a demandé votre avis, répondit Alice.

    Lewis Carroll (1832–1898), Les Aventures d'Alice au pays de l'étonnement (1862–65),
    chapitre 7 : Un thé fou. Illustration de Sir John Tenniel (1820–1914)

    – Que savez-vous de cette affaire ? demanda le Roi à Alice.
    – Rien.
    – Absolument rien ?
    – Absolument rien.
    – Voilà une chose d'importance, déclara le Roi en se tournant vers les jurés.

    […]

    Le Lapin Blanc mit ses lunettes.
    – Plaise à votre Majesté, où dois-je commencer ?, demanda-t-il.
    – Commencez au commencement, dit le Roi d'un ton grave, et continuez jusqu'à ce que vous arriviez à la fin ; ensuite, arrêtez-vous.

    Lewis Carroll (1832–1898), Les Aventures d'Alice au pays de l'étonnement (1862–65),
    chapitre 12 : La déposition d'Alice.


    Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j'avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j'ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain ; de façon qu'il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences.

    René Descartes (1596–1650), Méditations métaphysiques (1641),
    Commencement de la Première Méditation.

    De quoi Alice et le Chapelier fou parlent-ils ? De rien, du sens de «rien». La division du quelque chose et du rien, de l'être et du néant est justement la première division par laquelle la métaphysique commence. Que signifie «rien», quel est le sens du néant ? Comment le sens du néant est-il déterminé ?


    Quelle est la première division de l'être et du néant
    au sens absolument le plus commun (transcendantal) ?
    Quelque chose
    (τὶ, aliquid, non-nihil)
    Rien
    (nihil negativum)
    Détermination modale
    de l'être et du néant
    le possible l'impossible
    Que signifie être possible ?
    Double détermination médiévale du possible
    Définition causale
    du possible et du nécessaire
    Possible
    Ce dont l'être
    nécessite une cause
    Nécessaire
    Ce dont l'être
    ne nécessite pas de cause
    Définition logique
    du possible et de l'impossible
    Possible
    Ce qui ne répugne pas
    à la nature de la chose (shay’, res)
    Impossible
    Ce qui implique
    répugnance ou contradiction
    Détermination temporelle
    du sens
    de la contradiction
    Principe de contradiction :
    Il est impossible que le même
    appartienne et n'appartienne pas au même,
    en même temps et sous le même rapport.
    (Aristote, Métaphysique, Γ 3, 1005b)

    Sources : Henri de Gand (c. 1217–1274), Questions quodlibétales VII, q. 1 et 2 ; Jean Duns Scot (c. 1266–1308), Questions quodlibétales III, q. 3 ; Francisco Suárez (1548–1617), Disputes Métaphysiques (1597), D. II, Section IV ; René Descartes (1596–1650), Méditations métaphysiques (1641) ; Alexander Gottlieb Baumgarten (1714-1762), Métaphysique (1739-57), Iᵉ partie, 1ᵉ ch., 1ᵉ section ; Emmanuel Kant (1724–1804), Critique de la raison pure (1781–87), Table du rien, A 290 / B 347.

    Sans en prononcer le nom, c'est peut-être à lui [Avicenne] qu'il revient d'avoir effectivement inventé la notion de réalité.

    Francesco Marrone, Ens reale / Ens rationis : le mental et le réel dans le formalisme scotiste du XVIᵉ siècle

    Quel est le sens de la chose (shay’, res) ou de la « réalité » ?
    Avicenne
    (c. 970–1037)
    l'étant (ὂν, ens, mawjûd) signifie
    l'existence (al-wujūd)
    La chose (shay’, res) ou réalité (ḥaqīqa) signifie
    l'essence (annīya) ou la quiddité (māhiyya)
    seulement, et inséparable de l'existence
    René Descartes
    (1596–1650)
    le néant signifie
    l'impossible
    La chose ou réalité signifie
    la substance, définie comme :
    ce qui est par soi intelligible et apte à exister

    Premier paradoxe : la réalité ou l'essence diffère de l'existence (qu'il s'agisse d'une chose sensible ou d'une chose intelligible).
    Second paradoxe : la réalité ou l'essence est à la fois distincte et inséparable de l'existence.
    Troisième paradoxe : le réel ne s'oppose pas au « mental » (qu'il s'agisse de ce qui est en l'âme comme en un sujet (réalité formelle de l'idée) ou de ce qui est objectivement en l'intellect (réalité objective de l'idée)).

    à suivre


    Ce qui n'existe pas est-il quelque chose ou rien ?
    Sens et non-sens logique de l'inexistence et du néant

    Quelle est la véritable analyse logique d'une «chose non existante» ?
    «Chose non existante» signifie-t-il non «chose existante» ? Non «chose existante» signifie-il «non-chose» (no-thing) c'est-à-dire rien (nothing) ? De sorte que «une chose non existante n'est rien» et que «rien n'est une chose non existante», comme le dit le raisonnement et l'analyse logique défendue par Avicenne ?

    Ou bien la négation de l'existence d'une chose («la chose n'existe pas») est-elle différente de la négation de la réalité d'une chose («ce n'est pas une chose») ? Ces deux négations sont-elles logiquement équivalentes ? La négation de la réalité d'une chose («non chose») s'ensuit-elle logiquement de la négation de l'existence d'une chose («chose qui n'existe pas») ?

    à suivre

    Quelle différence y a-t-il entre l'existence et l'essence ou la réalité d'une chose ?
    La définition de l'accident et le sourire du Chat du Cheshire


    Et, cette fois, il [le Chat du Cheshire] disparut très lentement, en commençant par le bout de la queue et en finissant par le sourire, qui resta un bon bout de temps quand tout le reste eut disparu.
    « Ma parole !, pensa Alice, j'ai souvent vu un chat sans sourire, mais jamais un sourire sans chat !… C'est la chose la plus curieuse que j'aie jamais vue de ma vie ! »

    Lewis Carroll, Les Aventures d'Alice au pays de l'étonnement,
    chapitre 6 : Poivre et cochon.
    Illustration de Sir John Tenniel






















    Le concept d'accident, que la différence entre un chat sans sourire et un sourire sans chat invite à penser, s'inscrit dans une double division, logique et métaphysique :

    La division des cinq prédicables et des dix catégories
    Les dix catégories
    (κατηγορία)
    ou prédicaments
    sont les genres premiers
    ou suprêmes
    L'essence (οὐσία),
    premier sens de l'être, catégorie première,
    ce que cherche la question socratique :
    Qu'est-ce ?
    «Socrate, lui, cherchait l'essence,
    et c'était logique,
    car il cherchait à faire des syllogismes,
    et le principe des syllogismes est l'essence.»
    (Aristote, Métaphysique, Μ 4)
    L'accident (συμβεβηκός)
    se divise en neuf autres catégories :
    en une quantité, d'une qualité,
    relatif à, quelque part, en un temps,
    en une position, avoir, agir, pâtir
    Les cinq prédicables
    (κατηγορούμενον)
    ou universaux
    Le genre, l'espèce, la différence, le propre L'accident



    Qu'est-ce que l'accident ?
    (en cours)
    Définition
    de l'accident
    au sens métaphysique
    L'accident est
    ce qui ne peut être
    sans être en un sujet d'inhérence
    (Catégories, 2, et Isagogè, 5)
    ex. : un sourire sans chat

    L'accident est
    ce qui peut être présent ou absent
    en un sujet
    sans corruption du sujet (Topiques, I, 5)
    ex. : un chat sans sourire

    L'accident est
    ce qui est dit d'un sujet autre
    (Seconds Analytiques, A 4 et 22)
    L'essence est
    au sens premier,
    ce qui n'est pas dit d'un sujet
    et n'est pas en un sujet
    ex. : le chat du Cheshire ;

    au sens second, l'espèce et le genre
    ex. : animal
    (Catégories, 5)

    L'essence est ?...
    (Métaphysique, Ζ 3)
    Définition
    de l'accident
    au sens logique
    L'accident est
    le prédicable non essentiel et non nécessaire
    par opposition aux autres prédicables
    (Topiques, I, 5)
    Les quatre autres prédicables sont
    dit d'un sujet essentiellement :
    le genre, l'espèce, la différence
    et le propre

    à suivre

    Dossier de lectures philosophiques
    Alain de Libera, Introduction à l'Isagogè de Porphyre, et article Prédication du Vocabulaire européen des philosophies
    Madeleine van Aubel, Accident, catégories et prédicables dans l'œuvre d'Aristote
    Silvia Di Vincenzo, Avicenna’s reworking of Porphyry’s ‘common accident’ in the light of Aristotle’s Categories


    La question Qu'est-ce que l'être et le néant ? s'ensuit logiquement de la question Qu'est-ce que devenir ?, puisque les concepts d'être et de néant sont les deux concepts préalables en lesquels le concept du devenir s'analyse. Devenir : n'être pas encore ce que ce sera, n'être déjà plus ce que c'était, être ce que ce n'était pas, être ce que ce ne sera plus. Devenir : être et ne pas être. Le temps est la contradiction de l'être et du néant. La simple analyse logique du concept du devenir conduit logiquement, nécessairement, aux deux concepts préalables, l'être et le néant, dont le concept du devenir est l'union, et à leur relation logique : la contradiction.
    Alice se dit en elle-même…
    Je vais te montrer un film…
    pour les enfants…
    peut-être…
    si on se fie au titre…
    pour ça tu dois…
    fermer les yeux…
    sinon…
    tu ne verras rien !

    Jan Švankmajer, Quelque chose d'Alice (Něco z Alenky)
    Que signifie concevoir le concept de l'être et du néant ?
    Concevoir le même ou concevoir en même temps

    Qu'est-ce que l'être et le néant ? Que signifie le concevoir ? L'être est le néant, le néant est l'être, répond Hegel au commencement de la Science de la Logique. Pourquoi ? Qu'est-ce que ça signifie ?
    Concevoir l'identité logique, paradoxale, de l'être et du néant signifie d'abord : non pas l'identité de deux choses.

    Qu'est-ce que l'être ? Aucun étant, pas l'étant.
    Qu'est-ce que le néant ? Aucun étant, pas l'étant.
    Le même, donc.

    Qu'est-ce que l'être et le néant ? Le même. La réponse est un paradoxe logique, parce qu'elle dit et pense la contradiction. Non pas : une contradiction, comme si l'identité de l'être et du néant était une contradiction, parmi d'autres, mais : la contradiction, elle-même. Le paradoxe logique signifie la nécessité de la contradiction, et la nécessité de concevoir la contradiction.

    Que signifie concevoir le concept du devenir ?
    Concevoir le même ou concevoir en même temps

    Qu'est-ce que le devenir ? Que signifie le concevoir ? Le devenir est la contradiction de l'être et du néant. Qu'est-ce que ça signifie ?

    Concevoir le concept du devenir signifie d'abord : non pas le concept d'une chose, ni d'un mélange de deux choses.

    Concevoir le devenir comme la contradiction de l'être et du néant signifie d'abord, en même temps : le devenir n'est plus imaginé comme une chose, objet de la pensée, et la pensée ou le logique n'est plus imaginée comme une chose, qui serait encore extérieure au devenir et extérieurement concevable hors de son propre devenir.
    Le devenir n'est pas hors de la pensée, du logique. La pensée n'est pas hors du devenir. La pensée n'est pas, non plus, «dans» le devenir comme dans un espace extérieur, et le devenir n'est pas, non plus, «dans» la pensée comme dans un espace intérieur, et ce pour la même raison : parce que ni la pensée, ni le devenir, n'est un espace. La pensée n'est pas un espace intérieur. Le devenir n'est pas un espace extérieur.
    Le devenir est le logique, lui-même. Le logique est le devenir, lui-même. Le temps n'est pas d'un côté, et le logique, d'un autre. Le temps est déjà, en même temps, logique : toutes les déterminations du temps ou du devenir («passé», «présent», «avenir», «avant», «après», «maintenant», «simultanément», «déjà», «plus», «encore», «être», «néant», «contradiction», etc.) sont des déterminations de sens logiques. Le logique est déjà, en même temps, temporel : toutes les déterminations de sens logiques ont elles-mêmes un sens temporel et deviennent, selon un tempo et un temps logique. La pensée n'est autre que le devenir logique.
    L'inséparabilité ou l'identité logique des contradictoires (par exemple la question-réponse, le dialogue) est le sens logique du temps : la simultanéité. Le temps est : le même.

    Concevoir le devenir comme la contradiction de l'être et du néant signifie, en même temps, concevoir le devenir logique, le devenir de la pensée.

    à suivre

    Dossier de lectures philosophiques
    Jérôme Laurent et Claude Romano (dir.), Le Néant : Contribution à l'histoire du non-être dans la philosophie occidentale
    Alain de Libera, L'Art des généralités : Théories de l'abstraction, chapitre 4 : Avicenne
    Luisa Valente, Names That Can Be Said of Everything: Porphyrian Tradition and ‘Transcendental’ Terms in 12th-c. Logic
    Jan A. Aertsen, Medieval Philosophy as Transcendental Thought: From Philip the Chancellor (ca. 1225) to Francisco Suárez
    Id. et Wouter Goris, Medieval Theories of Transcendentals, SEP
    Graziella Federici Vescovini (éd.), Le problème des transcendantaux du XIVᵉ au XVIIᵉ siècle
    John P. Doyle, On the Borders of Being and Knowing: Late Scholastic Theory of Supertranscendental Being
    Francesco Marrone, Ens reale / Ens rationis : le mental et le réel dans le formalisme scotiste du XVIᵉ siècle
    Ernesto Mayz Vallenilla, Le problème du néant chez Kant
    Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Science de la Logique
    Barbara Cassin, Si Parménide
    Id., L'effet sophistique

    Quelle est donc la question qui s'ensuit logiquement de cette réponse ? Quelle est la relation logique de l'être et du néant ? La contradiction. La question qui s'ensuit logiquement est donc : Qu'est-ce que la contradiction ?


    7ᵉ question : Qu'est-ce que la contradiction ?
    La question du temps et l'antique question du même et de l'autre

    Définition logique du concept de la contradiction

    Quelle est la relation logique de l'être et du néant ? La contradiction.
    Qu'est-ce que l'être et le néant ? Le même.
    Qu'est-ce donc que la contradiction ? La relation logique du même à soi-même. La contradiction est : contradiction avec soi-même.


    Différence de nature et nature de la différence

    Comment et pourquoi la confusion du concept préconçu du temps se fait-elle ? Quand la confusion du concept préconçu du temps commence-t-elle, et quand se termine-t-elle ? Quand, non plus mathématiquement parlant, mais philosophiquement, logiquement.
    Comment l'analyse du concept confus du temps conduit-elle à concevoir le concept même de la confusion, et de la différence ? La confusion du concept du temps implique-t-elle une confusion dans le concept même de la différence ? Et une confusion dans le concept même de l'identité ?

    à suivre

    Dossier de lectures philosophiques
    Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Science de la Logique
    Jan Łukasiewicz, Du principe de contradiction chez Aristote
    Gilles Deleuze, Bergson, 1859–1941
    Id., La conception de la différence chez Bergson, repris dans le recueil L'île déserte et autres textes (1953–1974)
    Id., Le bergsonisme
    Id., Différence et répétition
    Id., Logique du sens
    Id., Qu'est-ce que la philosophie ?
    Giuseppe Bianco, Après Bergson : Portrait de groupe avec philosophe
    Vincent Descombes, Le même et l'autre : Quarante-cinq ans de philosophie française (1933–1978)
    Barbara Cassin et Michel Narcy, La décision du sens : Le livre Gamma de la Métaphysique d'Aristote
    Id., L'effet sophistique


    8ᵉ question : Que signifie la négation ?
    Définition logique du concept de la négation logique
    Ce par quoi le concept lui-même progresse, c'est le négatif qu'il a en soi-même ; cela constitue le véritable dialectique.

    Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Science de la Logique, 1, XXIII

    Ne pas, ne pas encore et ne plus

    Division logique de la négation en négation simple, négation dialectique, et négation non-sensique

    à suivre





    Apories logiques sur l'être du temps

    Mais, à la suite de ce qui a été dit, il faut en venir à l'étude du temps. Il est d'abord bon de soulever les difficultés qui le concernent, même à travers les arguments extérieurs : s'il fait partie des étants ou des non-étants, ensuite quelle est sa nature. Que donc le temps n'est absolument pas, ou est à peine et confusément, on pourrait le présumer à partir de ce qui suit. En effet, quelque chose de lui est passé et n'est plus, alors que quelque chose de lui est à venir et n'est pas encore. Et c'est de ces aspects que sont constitués le temps infini aussi bien que celui qui est pris à tout moment. Or on peut être d'avis qu'il est impossible que ce qui est composé de non-étants participe de l'être.
    […] De plus, le maintenant qui semble distinguer le passé et l'avenir, il n'est pas facile de voir s'il demeure toujours un et identique ou s'il est sans cesse autre. […]
    Aristote, Physique, livre Δ (4ᵉ), chapitres 10 et 14

    S'il existe un temps, il est soit limité, soit infini. Mais s'il est limité, il a commencé à un certain temps et s'achèvera à un certain temps ; et pour cette raison il y avait un temps quand il n'y avait pas de temps – avant qu'il n'ait commencé –, et il y aura du temps quand il n'y aura plus de temps – après qu'il se sera achevé –, ce qui est absurde. Le temps n'est donc pas limité. Mais s'il est infini, puisque quelque chose de lui est dit passé, quelque chose présent et quelque chose futur, le futur et le passé sont ou ne sont pas. Mais s'ils ne sont pas, étant donné qu'il ne restera que le présent, lequel est très petit, le temps sera limité et il s'ensuivra les apories signalées ci-dessus. Mais si le passé existe et le futur existe, chacun d'eux sera présent. Mais il est absurde de dire que le temps passé et le temps futur sont présents. Donc le temps n'est pas non plus infini ; mais s'il n'est ni infini ni limité, le temps n'existe pas du tout.
    Outre cela, si le temps existe il est soit divisible, soit indivisible. Or il n'est pas indivisible ; en effet il est divisé en présent, passé et futur comme ils le disent eux-mêmes. Mais il n'est pas non plus divisible. En effet chacune des choses divisibles est mesurée par l'une de ses parties, la partie mesurante étant appliquée à ce qui est mesuré, comme lorsque nous mesurons une coudée avec un doigt. Mais le temps ne peut pas être mesuré à l'aide d'une de ses parties. Si, en effet, le présent mesure le passé – ceci étant dit pour les besoins du raisonnement –, il sera appliqué au passé et pour cette raison sera passé, et pour le futur, de même, il sera futur. Et si le futur mesurait les autres, ils serait présent et passé, et, de même, le passé serait futur et présent, ce qui est invraisemblable. Donc le temps n'est pas non plus divisible. Mais s'il n'est ni indivisible ni divisible, il n'existe pas non plus.
    On dit que le temps se divise en trois parties, le passé, le présent et le futur. Parmi elles le passé et le futur n'existent pas. Si en effet le temps passé et le temps futur existaient maintenant, chacun d'eux serait présent. Mais le présent n'existe pas non plus. Si, effectivement, le temps présent existe il est soit indivisible, soit divisible. Or il n'est pas indivisible ; c'est en effet dans le temps présent qu'on dit que les choses qui changent changent, et on ne change pas dans un temps sans parties […]. De sorte que le temps présent ne sera pas indivisible. Mais il n'est pas non plus divisible ; en effet il ne peut pas être divisé en présents, puisque, du fait du flux impétueux des choses qui sont dans le cosmos, on dit que le présent se change imperceptiblement en passé. Mais il ne peut pas non plus être divisé en passés et futurs ; en effet ils seront non étants, l'une de ses parties n'étant plus et l'autre n'étant pas encore. De là vient aussi que le présent ne peut pas être le terme du passé et le commencement du futur, puisqu'à la fois il serait et ne serait pas : il sera en tant que présent et ne sera pas puisque ses parties ne sont pas. Donc il ne sera pas non plus divisible. Mais si le présent n'est ni indivisible ni divisible, il n'existe pas non plus. Mais étant donné que ni le présent, ni le passé, ni l'avenir n'existent, il n'existe pas non plus quelque chose qui soit le temps, car ce qui est composé de choses non existantes est non existant.
    Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, livre III, chapitre 19



    Un atelier philosophie pour enfants consacré à la question du temps a lieu en juillet 2009 au Musée de l’horlogerie de Saint-Nicolas d’Aliermont (Normandie), et à l’occasion de la présentation d’une exposition pour enfants consacrée au temps à la Médiathèque de Notre-Dame-de-Gravenchon (Normandie) en novembre 2013. La question est abordée avec des élèves de Première du Lycée des Métiers Grieu de Rouen (Normandie) en 2013 et en 2014.

    Une série d'ateliers philosophie mensuels pour adultes et pour le jeune public scolaire a lieu d'avril à juin 2015 au FRAC Auvergne de Clermont-Ferrand. Les ateliers philosophie adultes autour des expositions en cours ont lieu les lundis et mardis 9 et 10 février, 9 et 10 mars, 27 et 28 avril et les 8 et 9 juin 2015, de 18h30 à 20h. Dans le cadre des activités pédagogiques proposées par le service des publics du FRAC Auvergne, les ateliers philosophie autour des expositions en cours à destination du jeune public scolaire du premier degré (CM1-CM2) et du second degré (Collèges et Lycées) ont lieu les mardis (matin et après-midi) et mercredis (matin) 10 et 11 mars, 28 et 29 avril et les 9 et 10 juin 2015. La question générique du premier cycle d’ateliers philosophie adultes autour de l’exposition de David Claerbout présentée au FRAC Auvergne du 31 janvier au 10 mai 2015 est : Qu'est-ce donc que le temps ?

    La question du temps est à nouveau posée avec les élèves d'une classe de CM1/CM2 à la Médiathèque L'Ivre d'images de Vertaizon (Auvergne) les 14 et 21 novembre 2019 et 30 janvier 2020.

    Les prochains ateliers philosophie consacrés à la question du temps auront lieu :
    Avec les élèves d'une classe de 1ᵉ de Frédérique Gilliot, au Lycée professionnel Camille Claudel de Clermont-Ferrand (Auvergne), du 9 novembre au 15 décembre 2021.

    Avec les élèves de deux classes de CM1/CM2, à la Bibliothèque de Vertaizon (Auvergne), de janvier à juin 2022.


    Choix de lectures philosophiques
    Friedrich Nietzsche, La Philosophie à l'époque tragique des Grecs
    Platon, Timée ; Parménide
    Proclus, Commentaire du Parménide de Platon
    Damascius, Commentaire du Parménide de Platon
    Jean Wahl, Étude sur le Parménide de Platon
    Barbara M. Sattler, Time and Space in Plato’s Parmenides
    Le Parménide de Platon : Symposium Platonicum XII, 15-19 juillet 2019, International Plato Society
    Aristote, Physique, livre Δ (IV), chapitres 10 à 14
    Victor Goldschmidt, Le système stoïcien et l’idée de temps
    Plotin, Ennéade III, 7 [45] De l'éternité et du temps
    Michael Wagner, The Enigmatic Reality of Time: Aristotle, Plotinus, and Today
    Peter Manchester, The Syntax of Time: The Phenomenology of Time in Greek Physics and Speculative Logic from Iamblichus to Anaximander
    Saint Augustin, Confessions, livre XI, chapitres 13 à 31
    Jean Guitton, Le temps et l'éternité : Chez Plotin et Saint Augustin ; Justification du temps
    Rory Fox, Time and Eternity in Mid-Thirteenth-Century Thought
    Pasquale Porro (Ed.), The Medieval Concept of Time: The Scholastic Debate and its Reception in Early Modern Philosophy
    John Marenbon, Le temps, l’éternité et la prescience de Boèce à Thomas d’Aquin
    Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, Esthétique transcendantale, Deuxième section : Du temps, § 4 Exposition métaphysique du concept du temps, § 5 Exposition transcendantale du concept du temps, § 6 Conséquences tirées de ces concepts et § 7 Explication
    Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience ; Matière et mémoire ; L'Évolution créatrice ; Durée et simultanéité ; La pensée et le mouvant ; L'idée de temps : Cours au Collège de France 1901–1902 ; Histoire de l'idée de temps : Cours au Collège de France 1902–1903 ; Histoire des théories de la mémoire : Cours au Collège de France 1903–1904
    Vladimir Jankélévitch, Henri Bergson
    Gilles Deleuze, Bergson, 1859–1941 ; La conception de la différence chez Bergson, repris dans le recueil L'île déserte et autres textes (1953–1974) ; Le bergsonisme ; Différence et répétition ; Logique du sens ; Qu'est-ce que la philosophie ?
    Jean Theau, La critique bergsonienne du concept
    Jean Milet, Bergson et le calcul infinitésimal ou la raison et le temps
    Camille Riquier, Archéologie de Bergson. Temps et métaphysique
    David Lapoujade, Puissances du temps. Versions de Bergson
    Edmund Husserl, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps ; Manuscrits de Bernau sur la conscience du temps (1917–1918)
    Jorge Luis Borges, Histoire de l’éternité ; Nouvelle réfutation du temps, publié dans Autres Inquisitions, Œuvres Complètes, tome I
    Arthur N. Prior, Time and Modality ; Past, Present and Future ; Papers on Time and Tense
    Peter Øhrstrøm & Per F. V. Hasle, Temporal Logic: From Ancient Ideas to Artificial Intelligence
    Francis Wolff, Les deux concepts de temps : l'ordre et le devenir
    La métaphysique du temps : perspectives contemporaines, Colloque des 3 et 4 octobre 2019 au Collège de France
    Ned Markosian, Time, Stanford Encyclopedia of Philosophy
    Valentin Goranko & Antony Galton, Temporal Logic, Stanford Encyclopedia of Philosophy